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HORACE, Pierre Corneille Fiche de lecture

Un rituel de fondation

Albe, en effet, parce qu'elle forme un obstacle à l'édification de l'Empire romain, doit être sa première victime fondatrice. Elle sera éliminée en trois temps : derrière la geste héroïque d'un guerrier délégué par le roi (premier acte fondateur, héroïque, épique) ; après l'exclusion, dans toutes les familles et dans toutes les consciences, des valeurs archaïques de la cité concurrente (second acte fondateur, privé et exemplaire) ; enfin, par l'allégeance de tous les Romains à leur chef (troisième acte fondateur, politique). Ces trois temps, qui forment presque trois intrigues – on l'a assez reproché à Corneille –, scandent la mise en place de l'harmonie romaine et l'abandon des idéaux proches de la pastorale (la paix, l'amour tendre, le privé, l'unité familiale, la représentation aristocratique de l'État) pour permettre l'entrée dans la dynamique de l'Histoire. La leçon serait ainsi l'avènement d'un équilibre grâce à l'exemplification de l'idéal aristotélicien du héros magnanime, capable de se sacrifier, et qui triomphe parce qu'il choisit de cesser d'être un individu pour incarner Rome, quoi qu'il lui en coûte. Le héros combattant a donc mobilisé son énergie dans le cadre d'une société militaire. Puis, après avoir cédé aux sirènes de l'individualisme glorieux tout en sacrifiant ses sentiments à l'État (car il souffre de tuer sa sœur), il sait se soumettre à celui-ci et à son chef lors d'un procès politique qui institue, à Rome, l'union du roi et de ses sujets.

Cependant, la leçon finale, même dans cette tragédie apparemment si bien clôturée, est corrodée par quelques éléments déterminants. S'il faut abandonner la pastorale, c'est à regret, parce que cela revient à congédier la paix et l'amour tendre pour vivre l'Histoire. Les valeurs de la guerre, on l'a vu dans la première partie d'Horace, comportent aussi la ruse, la fuite et le calcul. Et celles qui fondent Rome n'excluent pas le geste contre-nature d'un frère tuant sa sœur. Un acte héroïque où la ruse est partie prenante et un crime inexcusable font de Tulle le maître de deux États pacifiés. N'est-ce pas avouer que le crime et la ruse peuvent être la source d'un bien ?

L'établissement de l'Empire est ainsi fragilisé, au point qu'il devient important de se souvenir des dernières paroles de Camille qui affirmait que l'Empire romain mourrait comme les autres empires. Fondée sur la ruine d'un passé mythique, Rome s'éteindra, gagnée par les fautes qui la constituent et qui sont toutes représentées dans le corps de l'intrigue : l'excès d'héroïsme, l'excès de sacrifice, le calcul, la manipulation des hommes par le pouvoir et l'abus d'autorité de la part de l'État. Le héros peut bien être transfiguré en s'immolant à la collectivité grâce à son courage et à sa vertu : rien n'empêchera que sa victoire et celle de la Cité n'aient cours qu'un moment dans l'histoire de l'humanité.

— Christian BIET

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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Pour citer cet article

Christian BIET. HORACE, Pierre Corneille - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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