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MULISCH HARRY (1927-2010)

Harry Mulisch - crédits : D.R.

Harry Mulisch

Porteuse dans ses moindres recoins de l'empreinte d'un incorrigible apprenti sorcier, l'œuvre de Harry Mulisch constitue à elle seule une littérature néerlandaise hermétique, inscrite davantage dans la lignée de Goethe, Kafka et Thomas Mann que dans le réalisme qui domine l'après-guerre. Romans, nouvelles, poèmes, essais, reportages, pièces de théâtre, livrets d'opéra, tout chez Mulisch est régi par cet hermétisme paradoxalement accessible, comme en témoigne le succès de ses ouvrages à travers le monde. Le paradoxe deviendra d'ailleurs son image de marque, en raison d'un univers romanesque où destruction et création, amour et violence se confondent systématiquement. La guerre a beau rendre Mulisch proche de romanciers comme W. F. Hermans et Hugo Claus, il n'en bifurquera pas moins vers la mythologie et la fantasmagorie. Et on le verra créer son propre mythe. « C'est moi la Seconde Guerre mondiale », affirme-t-il un jour. Il faut bien lui accorder que l'ambiguïté de ses origines ne pouvait que le conduire à une telle déclaration.

C'est en effet d'un père austro-hongrois, qui collaborera avec les Allemands pendant l'Occupation, et d'une mère juive que Harry Kurt Victor Mulisch est né à Haarlem en 1927. Il appartient à un milieu aisé et cosmopolite rapidement touché par la crise de 1929, une tragédie aggravée par la séparation des époux Mulisch en 1936. Le père réussira néanmoins à faire libérer sa femme du dépôt, tout comme il saura éviter que son fils soit enrôlé dans l'armée allemande. Livré à lui-même pendant les années de crise et d'occupation, le jeune Harry Mulisch connaît une scolarité difficile qui l'aidera beaucoup à créer un monde à lui. Il s'intéresse à la chimie, plus encore à l'alchimie, et va ensuite se diriger, pas à pas, vers la composition d'un roman, Archibald Strohalm (1952), récit rocambolesque d'un marionnettiste visionnaire qui entend élucider l'énigme universelle « par le rire ». Commencent alors, malgré une précarité tenace, ses premières années de gloire : prix littéraires, médiatisation, conquêtes féminines – période bouclée par Noces de pierre (1959).

Ce grand roman nous met en présence de Norman Corinth, ancien pilote de guerre américain qui visite Dresde en 1956. Onze ans plus tôt, il a participé au bombardement de cette ville ; crime atroce qu'il revit entre autres à travers une aventure érotique destructrice. De fait, Noces de pierre relate la fascination grandissante de Mulisch pour les mobiles des bourreaux (de quelque bord qu'ils soient), et pour l'éternel rapport de forces entre le Bien et le Mal. Longtemps, cette fascination lui fera abandonner la fiction. L'Affaire 40-61 (1961), son livre sur le procès d'Eichmann, lui vaudra notamment une réputation hautement prisée de greffier-historiographe. Pour « se désintoxiquer » d'Eichmann, Mulisch écrira ensuite des livres sur le mouvement Provo et la révolution cubaine. Son renoncement à la fiction au bénéfice d'un engagement direct dans les événements de son époque n'est, du reste, pas que volontaire : toute tentative romanesque lui pose, à ce moment-là, des problèmes formels compliqués.

Harry Mulisch se marie au début des années 1970. De ce mariage naîtront deux filles – bien plus tard, en 1992, il aura encore un fils d'un deuxième lit. Après une période consacrée alternativement à la vie de famille et à l'écriture, il retourne en 1975 au roman avec Deux Femmes, histoire d'amour entre une femme adulte et une jeune fille, inspirée par le mythe d'Orphée. Ce livre sera suivi en 1982 de L'Attentat, où l'auteur revient à sa mythologie de l'Occupation. Encore que ses principes hermétiques soient toujours aussi solidement ancrés, l'œuvre sera désormais de[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, écrivain, traducteur, professeur de littérature française

Classification

Pour citer cet article

Paul GELLINGS. MULISCH HARRY (1927-2010) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • NÉERLANDAISE ET FLAMANDE LITTÉRATURES

    • Écrit par Paul GELLINGS
    • 6 824 mots
    • 3 médias
    L'exception à la règle du réalisme social est fournie par Harry Mulisch (1927-2010). Alchimiste littéraire se mouvant dans la sphère d'un Goethe et d'un Thomas Mann, proche de Hoffmann et de Kafka, il représente un autre Nord, davantage gothique et beaucoup moins tangible (ce qui ne le rend pas, pour...