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ESTERNO NOTTE (M. Bellocchio)

Il est difficile d’aborder la minisérie de Marco Bellocchio, Esterno notte (2022), sans rappeler que vingt ans plus tôt, le cinéaste avait déjà consacré un film, Buongiorno notte, à Aldo Moro. Le film de 2003 construisait une sorte de fiction à partir d’un événement réel : l’enlèvement, la séquestration et l’exécution d’Aldo Moro, homme politique italien de premier plan, par les Brigades rouges, en 1978. Plutôt qu’une relecture, le metteur en scène offrait une réflexion sur un épisode controversé de l’histoire de l’Italie. Il ne faisait pas œuvre d’historien, mais donnait libre cours à son imagination à l’égard d’un fait vieux de vingt-cinq ans et que le recul rendait particulièrement douloureux dans son absurdité et son horreur. Métaphoriquement, anticipant sur les libertés que Bellocchio laisserait à l’imagination dans sa série, Aldo Moro, dans la dernière image du film, n’était plus un cadavre, mais un homme libre qui, au petit matin, un manteau jeté sur son survêtement de détenu, parcourait les rues du quartier où il avait été séquestré.

Un traumatisme national

<em>Esterno notte</em>, M. Bellocchio - crédits : Esterno Notte/ M. Bellocchio/ RAI

Esterno notte, M. Bellocchio

En 2022, Bellocchio revient sur cet épisode traumatisant de l’histoire de l’Italie contemporaine, qui demeure présent dans la mémoire collective, preuve s’il en était besoin que l’assassinat de l’ancien président du Conseil des ministres marqua l’acmé de la dégénérescence des institutions italiennes. De fait, la Démocratie chrétienne et le Parti communiste n’ont pas survécu à l’assassinat d’un homme qui avait précisément choisi comme perspective politique un rapprochement entre les deux formations.

Marco Bellocchio a souvent déclaré qu’en réalisant cette série de six épisodes d’environ une heure chacun, il avait en tête non l’idée de bâtir un feuilleton qui serait découpé en six parties, mais plutôt de réaliser un film de six heures (l’œuvre sera exploitée dans les salles italiennes, tandis qu’elle ne sera diffusée en France que sur Arte) dont la longueur lui laisserait la possibilité de creuser dans les interstices d’un événement de l’histoire italienne qui contient encore beaucoup de zones d’ombre. De fait, Esterno notte se présente d’abord comme un récit qui reparcourt ces deux mois terribles de mars et avril 1978, en revenant par six fois sur les mêmes traces qu’ont laissées les protagonistes du drame.

Successivement sont envisagés les différents personnages et leurs différents points de vue : le président de la Démocratie chrétienne Aldo Moro, le ministre de l’Intérieur Francesco Cossiga, le pape Paul VI, le seul prêt à négocier et qui réunit une rançon, les terroristes qui ont enlevé l’homme d’État et l’ont séquestré (notamment Adriana Faranda et Valerio Morucci, deux brigadistes qui, en prison, remettront en cause leur engagement militant), la femme d’Aldo Moro, Eleonora Chiavarelli. Un dernier épisode, intitulé « La fin », imagine des variantes, soit pour le crime, commis d’abord dans la cellule du détenu avec un coup de revolver à la nuque, ou par des rafales de mitraillette dans la voiture où il a été déposé avant d’être transporté à proximité des sièges du Parti communiste et de la Démocratie chrétienne ; soit, pour le final, avec une variante encore plus surprenante : Bellocchio, comme dans le film de 2003, imagine Moro retrouvé vivant dans le coffre de la R4 rouge. Transporté dans un hôpital, il prononce de son lit les phrases fameuses par lesquelles il renonce à toutes ses charges politiques et démissionne de la Démocratie chrétienne : « Il ne me reste plus qu’à constater ma complète incompatibilité avec le parti de la DC. » Il ajoute à l’adresse du président du Conseil Giulio Andreotti : « Il vous manque justement la ferveur humaine. Il vous manque le mélange de bonté, sagesse, souplesse, limpidité qui définissent, sans réserve, les quelques démocrates chrétiens qu’il y a au monde et dont vous[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite, université professeur émérite, université Paris I-Panthéon Sorbonne

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Pour citer cet article

Jean A. GILI. ESTERNO NOTTE (M. Bellocchio) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<em>Esterno notte</em>, M. Bellocchio - crédits : Esterno Notte/ M. Bellocchio/ RAI

Esterno notte, M. Bellocchio

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