Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

DENIS CLAIRE (1948- )

<it>Un beau soleil intérieur</it>, C. Denis - crédits : Curiosa Film/ BBQ_DFY/ Aurimages

Un beau soleil intérieur, C. Denis

Claire Denis appartient à une des premières générations de cinéastes – parmi lesquels figurent beaucoup de femmes, comme Pascal Ferran, Laetitia Masson, Laurence Ferreira Barbosa ou Noémie Lvovsky – directement issus des écoles de cinéma. Née à Paris le 21 avril 1946, elle a passé une grande partie de son enfance dans divers pays d'Afrique. Diplômée de l'IDHEC en 1971, elle réalise en 1973 un court-métrage avec le Grand Magic Circus de Jérôme Savary, puis des documentaires pour Pathé, avant d'être l'assistante de nombreux réalisateurs, dont Jacques Rivette, Wim Wenders ou Jim Jarmusch. Son premier long-métrage, Chocolat (1988), frappe par sa justesse dans l'évocation de l'époque coloniale finissante et, surtout par un récit construit sur les non-dits, les regards, les sensations diffuses. Le retour d'une jeune femme (Mireille Perrier) au Cameroun entraîne une remontée des souvenirs d'enfance, mêlant ses relations de petite-fille avec le serviteur noir Protée (Isaach de Bankolé) à l'attirance trouble qu'éprouvait sa mère (Giulia Boschi) pour ce dernier, et à son étonnement enfantin devant les mystères de la nature, insectes ou montagnes...

L’Afrique comme horizon

C'est encore le choc des cultures africaine et européenne que Claire Denis décrit dans Man No Run (1989), documentaire sur la tournée en France d'un groupe musical camerounais. Après un essai sur Jacques Rivette, interviewé par Serge Daney (Jacques Rivette, le veilleur, 1989), S'en fout la mort (1990) se situe principalement à Rungis, dans le milieu des combats de coqs clandestins. Au-delà d'une anecdote assez lâche, ces combats renvoient à la violence des personnages, l'Antillais Jocelyn (Alex Descas), le Béninois Dah (Isaach de Bankolé) et le Français Ardennes (Jean-Claude Brialy), qu'une phrase de Chester Himes qui fascine Dah explicite : « Tout homme, quelles que soient sa race, sa couleur, son origine, est capable de tout et de n'importe quoi. » Loin de la contemplation paisible des deux premiers films, Claire Denis montre le choc des corps avec une caméra en alerte, qui poursuit les personnages en les cadrant au plus près, en collant crûment à l'action, aux combats, à la mort qui se profile. Les sentiments qui lient les personnages, au-delà des relations plus nettement visibles d'exploitation ou de racisme, demeurent cependant du domaine du regard, des gestes anodins, de l'impalpable.

<em>J’ai pas sommeil</em>, C. Denis - crédits : Arena Films/ Orsans/ France 3 Cinema/ The Kobal Collection/ Aurimages

J’ai pas sommeil, C. Denis

Avec J'ai pas sommeil (1994), Claire Denis s'inspire de l’affaire Thierry Paulin et Jean-Thierry Mathurin, deux assassins de vieilles dames, et semble changer de registre. Ce n'est pas l'aspect sociologique, voire psychologique du fait-divers qui intéresse la réalisatrice, mais la peinture d'un monde constitué d'individus sans passé ni avenir, venus des anciennes colonies comme des ex-pays de l'Est, qui se croisent sans se voir ou se comprendre, enfermés qu'ils sont dans un rêve à peine éveillé. Les meurtres s'accomplissent dans un état de douceur ou de somnambulisme que l'on retrouve dans USGo Home (1994), film réalisé dans le cadre de la série d'Arte « Tous les garçons et les filles », au sujet moins tragique et morbide – une adolescente face à la sexualité – mais dont l'arrière-fond reste très glauque.

C'est encore entre réalisme et onirisme qu'évoluent les personnages de Nénette et Boni (1996), tout comme le film choisit de se déployer entre quotidien trivial et stylisation. Des liens mystérieux se tissent entre un frère pizzaïolo et une sœur enceinte à quinze ans qui se retrouvent, se cherchent, se fuient. Ici, tout n'est que fluidité, sensations, ondulations, mouvance, dans un récit tout entier ouvert aux aléas, à l’image du cinéma de Rivette. Rien n'est dit ou précisément montré à l'écran, tout y prend corps pourtant[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Médias

<it>Un beau soleil intérieur</it>, C. Denis - crédits : Curiosa Film/ BBQ_DFY/ Aurimages

Un beau soleil intérieur, C. Denis

<em>J’ai pas sommeil</em>, C. Denis - crédits : Arena Films/ Orsans/ France 3 Cinema/ The Kobal Collection/ Aurimages

J’ai pas sommeil, C. Denis

Autres références

  • UN BEAU SOLEIL INTÉRIEUR (C. Denis)

    • Écrit par
    • 1 075 mots
    • 1 média

    Depuis Chocolat (1988), tous les films de Claire Denis mettent en scène des relations de désir qui franchissent et souvent transgressent les frontières culturelles. Les liens qui se tissent entre les êtres relèvent moins de la société ou de l’idéologie que d’émotions, de pulsions, de forces quasi médiumniques....