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CACHÉ (M. Haneke)

Des Autrichiens, ses compatriotes, Michael Haneke a souvent décrit une curieuse et désagréable manie. « On me demande toujours, quand je suis à l'étranger, pourquoi les écrivains et les cinéastes autrichiens sont si durs, si pessimistes et déprimants dans leur vision du monde. Mon idée est que les Autrichiens sont passés maîtres dans l'art de cacher sous le tapis toutes les choses qu'ils jugent désagréables. C'est justement de ces choses-là que les artistes autrichiens veulent parler, et ils sont forcés de crier, de frapper les esprits pour être entendus » (Télérama, septembre 2001). En Autriche, Haneke a réalisé des films qui ont, en effet, ébranlé les esprits, décrivant des vies minées par des stratégies délétères de dissimulation : accumulation de biens matériels (pour masquer un vide existentiel), culture de la non-communication (pour tout taire), art de se barricader derrière les conventions sociales (pour étouffer la violence des pulsions). Un système tôt ou tard mis en échec : la barbarie, niée, resurgissait « de dessous le tapis », plus virulente encore, pour laminer les familles du Septième Continent (1989), de Benny's Video (1992) et de Funny Games (1997). Une barbarie qui était aussi bien celle du régime nazi, dont l'Autriche fut complice, que celle du monde d'aujourd'hui.

C'est dans la lignée de ces trois films que s'inscrit Caché (prix de la mise en scène au festival de Cannes 2005), dont le titre met donc en exergue le thème profond de l'œuvre d'Haneke : le pouvoir du refoulé (injustices, crimes et autres fautes) dans une société qui se déclare tolérante, pacifiste et « en règle », alors même qu'elle est en proie au dérèglement. Il ne s'agit plus ici d'une famille d'Autrichiens, mais de Français : Georges (Daniel Auteuil), Anne (Juliette Binoche) et leur fils Pierrot. Lui est journaliste littéraire et anime à la télévision une émission qui évoque l'ancien « Apostrophes » ; elle travaille dans une maison d'édition. Ils habitent une villa dans un quartier calme de Paris. Ils incarnent le savoir, le savoir-vivre, le confort de la bourgeoisie tranquille, l'ouverture au monde, la probité et une certaine forme d'harmonie, y compris conjugale. Mais les apparences sont fragiles dans le cinéma d'Haneke, qui n'a pas son pareil pour les faire voler en éclats. Au terme de Caché, Georges sera percé à jour : un homme intolérant, avec son épouse comme avec le monde en général, un être refermé sur ce qu'il possède, coupable et refusant de l'admettre, défendant comme un animal le terrier où il s'est réfugié, sa villa-prison.

L'enjeu de ce revirement dépasse le personnage de Georges. Haneke ne se livre pas simplement à une étude de caractère : c'est tout un monde qu'il fait basculer sous nos yeux. Le dérèglement est là d'emblée, cette fois : une cassette vidéo a été adressée à Georges, qui découvre que la maison familiale est filmée. Cette image, normalement si rassurante, devient inquiétante, parce qu'elle le dépossède d'emblée de ce qui lui appartient : c'est une intrusion (d'un regard dans un espace), une violation (d'un espace par un regard). Plus que jamais attaché à faire ressentir au spectateur le pouvoir manipulateur que peuvent avoir sur lui les images, Haneke lui fait occuper le point de vue de Georges : celui de l'honnête homme qui, soudain, regarde le monde extérieur avec une inquiétude croissante. La tension grandit en effet à mesure que le mystère s'épaissit, et que les étranges cassettes vidéo se multiplient. Les images créent un climat de persécution cruelle.

Mais Georges est-il injustement visé ? Haneke laisse la peur agir comme un révélateur : peu à peu, tout devient source de malaise dans cet univers qui semblait[...]

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Frédéric STRAUSS. CACHÉ (M. Haneke) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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