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AUSTERLITZ (W. G. Sebald) Fiche de lecture

La disparition brutale de W. G. Sebald en 2001, à l'âge de cinquante-sept ans, a mis un terme prématuré à une œuvre qui, en quatre livres majeurs, avait ouvert la voie à une nouvelle écriture narrative. Sa poétique du récit s'est fixée pour mission d'exhumer les fragments engloutis du passé, car « le monde pour ainsi dire se vide de lui-même à mesure que plus personne n'entend, ne consigne, ni ne raconte les histoires attachées à tous ces lieux et ces objets innombrables qui n'ont pas, eux, la capacité de se souvenir ».

Ces récits racontent donc des voyages, des découvertes, ils se présentent comme des associations d'idées et d'images. Tour à tour archiviste, pèlerin ou confesseur, Sebald, qui d'évidence sait écouter, remonte les strates de l'histoire allemande et juive, détecte leurs correspondances cachées et leurs épiphanies. Mais entre fiction et document, ses livres ne sont jamais la simple transcription de ce qui lui est confié. Son imagination alliée à sa sensibilité réunit textes et photographies – prises par l'auteur lui-même – en une mosaïque de souvenirs oubliés ou refoulés. Archéologue de la mémoire, il est en empathie avec ceux qui, au xxe siècle, « ont disparu ou ont été sauvés ».

Jacques Austerlitz, le protagoniste du livre éponyme (trad. P. Charbonneau, Actes Sud, Arles, 2002), a été « sauvé », mais on peut dire aussi qu'il a « disparu ». Pendant longtemps, en effet, il a tout ignoré de ses origines. C'est à la mort de ceux qu'il croit être ses parents, un couple âgé de pasteurs pieux plus enclins à la sévérité qu'à l'amour, que Dafydd Elias apprend la vérité : à son arrivée au pays de Galles, avec l'un des derniers convois d'enfants juifs qui avait réussi à quitter Prague, il a été adopté et dépouillé de son identité. Toutes les traces qui auraient pu lui rappeler sa vie antérieure ont été soigneusement effacées.

Austerlitz rencontre le narrateur dans la « salle des pas perdus » de la gare d'Anvers, où ce dernier s'était rendu « pour des raisons tenant en partie à [ses] recherches et en partie à des motivations que [lui-même] ne saisissait pas très bien ». C'est le début d'une relation, pas vraiment une amitié, qui se construit au cours des rencontres suivantes. Elles sont d'abord le fait du hasard, avant qu'Austerlitz ne les provoque. On se retrouve à Paris où à Londres, on s'entretient en anglais ou en français, mais jamais en allemand, la langue maternelle – oubliée – d'Austerlitz. Le narrateur dans la posture du psychanalyste attentif, mais silencieux, accompagne le lecteur dans le parcours labyrinthique au terme duquel Jacques Austerlitz se sera, peut-être, réapproprié son histoire et son identité, tout comme il guide, dans le dédale angoissant des escaliers, couloirs, parvis et galeries, ras et haut de jardin de la « nouvelle bibliothèque du boulevard François-Mauriac », Austerlitz en quête d'informations sur la biographie de son père.

Les récits de l'auteur-narrateur et ceux de son protagoniste sont intimement imbriqués les uns dans les autres, d'autant qu'Austerlitz rapporte parfois au narrateur des récits qui lui ont été faits par des tiers, par exemple lorsque à Prague il retrouve Vera, l'ancienne domestique qui lui parle de ses parents, Maximilian et Agata. Sebald tisse si étroitement ses phrases les unes avec les autres qu'il peut se dispenser de paragraphes. Sa technique narrative, qui n'est pas sans rappeler parfois Claude Simon, donne au lecteur qui doit ou qui veut interrompre sa lecture un sentiment de culpabilité, comme si l'auteur avait écrit ce livre pour qu'il soit lu d'une seule traite. Le lecteur captivé, il est vrai, se laisse entraîner non sans vertige, dans des pages bouleversantes, vers les lieux qui ont marqué de leur[...]

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Écrit par

  • : directrice de l'association Les Amis du roi des Aulnes, traductrice

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Pour citer cet article

Nicole BARY. AUSTERLITZ (W. G. Sebald) - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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