AIMÉE ANOUK (1932-2024)
L’actrice française Anouk Aimée, de son vrai nom Nicole Dreyfus, est née le 27 avril 1932 à Paris de parents acteurs, Henry Murray et Geneviève Sorya. Bientôt, le couple divorce, la guerre éclate et les origines juives de l’enfant la mettent en danger. Sa mère lui fait alors porter son nom de jeune fille, Durand, la met à l’abri loin de la capitale et réussit à l’envoyer en Angleterre. La jeune Nicole y suit des cours de théâtre et apprend l’anglais qui lui sera bientôt utile pour une carrière internationale.
La paix revenue, Nicole est remarquée et engagée pour un rôle important auprès de Viviane Romance, grande star de l’époque, pour La Maison sous la mer (1946) d’Henri Calef. À quatorze ans, elle y interprète le rôle de la jeune Anouk et adopte le prénom de son personnage au générique du film. La dynamique d’une carrière rapide se met en marche : elle est engagée pour jouer dans La Fleur de l’âge, œuvre du célèbre binôme Marcel Carné-Jacques Prévert, un film maudit dont le tournage avortera. Mais Prévert se souviendra d’elle très vite. Dès 1949, il écrit à sa mesure le rôle d’une jeune actrice qui joue Juliette dans un film et qui va faire revivre la tragédie des amants de Shakespeare : ce sera Les Amants de Vérone, d’André Cayatte. C’est à cette occasion que Prévert complète son nom de scène en suggérant Aimée pour son inscription au générique.
Serge Reggiani, rencontré sur La Fleur de l’âge et son partenaire dans Les Amants de Vérone, est son amoureux à la ville. Mais c’est Édouard Zimmermann qu’elle épouse, un mariage qui ne durera que quelques mois. Nico Papatakis, alors directeur du cabaret La Rose rouge à Saint-Germain-des-Prés, et bientôt réalisateur et scénariste, proche de Prévert, mais aussi de Picasso ou de Jean Genet, introduit Anouk Aimée dans le monde des arts. Elle l’épouse et aura de lui sa fille unique, Manuela. Elle tourne en Allemagne, en Angleterre (L’homme qui regardait passer les trains ; The Man Who Watched the Trains Go By, d’Harold French, 1952, où elle est encore mentionnée comme « Anouk »), mais c’est sans doute Alexandre Astruc qui, dans Le Rideau cramoisi (moyen métrage, 1952) et Les Mauvaises Rencontres (1956), dessine une ébauche de son futur personnage au cinéma. Sa beauté fine et brune dégage du mystère et impose autour d’elle le silence. Les deux films d’Astruc, bien que remarqués par la critique, restent dans le cercle d’un cinéma d’essai. Mais Anouk Aimée va être adoubée par le cinéma français « classique » en devenant, par deux fois, la partenaire de Gérard Philipe, sous la direction de deux cinéastes de prestige : Julien Duvivier (Pot-Bouille, 1957) et Jacques Becker (Montparnasse 19 ;titre original Les Amants de Montparnasse, 1958). Ses yeux magnifiques gagnent à se dissimuler sous des paupières volontiers baissées, ce qui accentue la différence énigmatique qui fait le charme de l’actrice.
Bien que le cinéma français l’adopte (La Tête contre les murs, George Franju, 1959), c’est en Italie qu’Anouk Aimée va trouver la consécration avec des films de qualité peu diffusés en France : (Il successo, signé Mauro Morassi, mais réalisé principalement par Dino Risi, 1963 ; Il terrorista, de Gianfranco De Bosio, 1963 ; La fuga, de Paolo Spinola, 1964). La rencontre avec Federico Fellini ‒ qui la surnomme affectueusement « Anoukina » ‒ sera décisive. D’emblée, le cinéaste génial la voit comme un personnage double : face à Marcello Mastroianni, dans La dolce vita (1960), elle est Maddalena, sirène vêtue de noir, qui susurre plus qu’elle ne parle, et, dans Huit et demi (1963), elle est Luisa, épouse vêtue de blanc, effacée, mélancolique. Au cours de cette même période, Jacques Demy lui offre un de ses rôles emblématiques, qui joint harmonieusement émotion et mystère : Lola (1961), chanteuse trop élégante pour le bastringue où elle s’exhibe, film qui, on l’oublie trop souvent, fut loin d’être un succès.
C’est sans doute ce même mélange qui émerge du personnage d’Anne d’Un homme et une femme (1966) de Claude Lelouch. Le succès est international, et Anouk est nominée pour l’oscar de la meilleure actrice. Le réalisateur, l’actrice et Jean-Louis Trintignant reviendront par deux fois sur ce couple d’amoureux : Un homme et une femme, 20 ans déjà (1986) et Les Plus Belles Années d’une vie (2019) qui sera le dernier film de l’actrice. Anouk Aimée et Claude Lelouch seront fidèles l’un à l’autre et, en plus de cette trilogie, tourneront ensemble à trois autres reprises. Une fidélité dont bénéficie également Jacques Demy : dans Model Shop (1969), on retrouve le personnage de Lola (vêtue de blanc) à Los Angeles. Dans L’Univers de Jacques Demy d’Agnès Varda (1995), l’actrice est revenue sur sa collaboration avec le cinéaste.
Anouk Aimée poursuit avec élégance une carrière glorieuse qui lui fait côtoyer des cinéastes exceptionnels : André Delvaux (Un soir, un train, 1969), Sidney Lumet (Le Rendez-vous ; The Appointment, 1969), Marco Bellocchio (Le Saut dans le vide ; Il salto nel vuoto, 1979, prix d’interprétation à Cannes), Bernardo Bertolucci (La Tragédie d’un homme ridicule ; La tragedia di un uomo ridicolo, 1981), Jerzy Skolimowski (Le Succès à tout prix ; Success Is the Best Revenge, 1984), Robert Altman (Prêt-à-porter ; Ready to Wear, 1994). Un seul rendez-vous manqué, celui avec George Cukor, directeur d’actrices magicien. Justine (1969) sera une mauvaise expérience pour l’actrice autant que pour le cinéaste, bien que, malgré les tiraillements, le mystère du personnage passe bien à l’écran et impose une présence lancinante, chargée de pudeur et de non-dits, celle que Empire Magazine incluait dans sa liste des « cent stars les plus sexy de l’histoire du cinéma » a largement prouvé qu’elle valait bien mieux qu’un tel label.
Au théâtre, elle s’est produite régulièrement, entre 1990 et 2014, dans les Love Letters d’Albert Ramsdell Gurney.
Anouk Aimée meurt le 18 juin 2024 à Paris.
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Écrit par
- Christian VIVIANI
: historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue
Positif
Classification
Autres références
-
HUIT ET DEMI, film de Federico Fellini
- Écrit par Michel CHION
- 1 074 mots
...glorieux d'un metteur en scène qui ne sait plus ce qu'il veut dire. Le film n'est pas pour autant cérébral, puisque chaque personnage existe à part entière. Anouk Aimée, dans le rôle d'une épouse à lunettes et aux cheveux courts, est complètement métamorphosée. La moindre silhouette reste inoubliable, comme...
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