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BELLO ANDRÉS (1781-1865)

Quand il débarqua à Londres en 1810, tandis que l'insurrection secouait le continent sud-américain, Bello n'avait pas trente ans. Il s'était formé dans l'ambiance néo-classique d'un Caracas que le passage d'Alexandre de Humboldt (entre 1789 et 1800) avait réveillé de sa torpeur coloniale. Le jeune Bello avait accompagné dans ses explorations l'Allemand qui lui avait enseigné à regarder le monde avec les yeux du savant. Au demeurant, nourri des lettres classiques, imitateur d'Horace, Bello avait appris en autodidacte le français et l'anglais. Puis il enseigna. Le plus illustre de ses disciples fut Bolivar, qui n'avait qu'un an de moins que son maître. À Caracas, Bello fait alors figure de poète néo-classique, mais il reste curieux de ces nouveautés internationales qui n'arrivent qu'avec un grand retard dans sa ville. La révolution sud-américaine va lui permettre, comme secrétaire de Bolivar, de connaître l'Angleterre où s'accomplit alors la mutation industrielle.

À Londres, il perd la représentation diplomatique du Venezuela, mais acquiert celle d'autres nations qui viennent de voir le jour. Les péripéties des guerres d'indépendance font de lui un citoyen de l'Amérique latine tout entière. C'est pendant ces années londoniennes qu'il découvre la nécessité de construire une culture latino-américaine. Bello comprit que le merveilleux héritage de la langue espagnole ne devait point pâtir du séparatisme et du provincialisme intellectuels. La recherche de techniques nouvelles d'expression irait donc de pair avec la sauvegarde de l'unité linguistique. D'où ce monument : la Grammaire de la langue castillane à l'usage des Latino-Américains, qui eut le singulier privilège de faire autorité en Espagne même.

Sa poésie, qui était jusqu'alors conventionnellement humaniste, se fait délibérément continentale. L'un des tout premiers, il déclara l'indépendance culturelle. Deux grands poèmes célèbrent le Nouveau Monde libéré : Allocution à la poésie (1823) et Ode à l'agriculture de la zone torride (1826).

Avec le concours de l'éditeur Rudolph Ackermann et d'un groupe de Latino-Américains, il fonde et dirige la Bibliothèque américaine (1823) et le Répertoire américain (1826-1827). Ces deux revues visaient à combler le vide laissé par l'Espagne ; elles proposaient à la nouvelle société d'Amérique des perspectives véritablement internationales et largement ouvertes sur l'avenir.

Son retour en Amérique, en 1829, ne le rendit pas au Venezuela, sa mère patrie. Plus stable politiquement, le Chili offrait à Bello la possibilité de réaliser son œuvre d'initiateur de la culture moderne. Pendant trente-cinq années d'âge mûr et de vieillesse, tel un patriarche, il protège le continent tout entier. Sa polémique avec Sarmiento, écrivain argentin vivant en exil au Chili, a contribué à fixer à jamais l'image d'un conservateur affrontant un révolutionnaire. La vérité est plus nuancée. Bello n'était-il pas plus authentiquement révolutionnaire que Sarmiento ? Mais il voulait construire sans faire table rase du passé. Aussi le voit-on jusqu'à son dernier jour s'efforcer d'orienter la culture latino-américaine vers l'authenticité, la maturité, la rigueur dans l'expression.

Ennemi des extrêmes, mesuré dans ses paroles, il apparaissait marqué d'une réserve britannique, difficile à comprendre en Amérique latine. Il n'est donc pas surprenant qu'il ait fait l'objet de jugements opposés, les uns exaltant en lui le précurseur, à l'avant-garde même du romantisme, les autres en faisant un poète momifié.

— E. RODRÍGUEZ MONEGAL

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E. RODRÍGUEZ MONEGAL. BELLO ANDRÉS (1781-1865) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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