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À L'AMI QUI NE M'A PAS SAUVÉ LA VIE, Hervé Guibert Fiche de lecture

Hervé Guibert - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Hervé Guibert

Dès son premier livre, La Mort propagande (1977), Hervé Guibert (1955-1991) a lié le sexe, la mort et le désir d'écrire, et formulé une exigence précise à l'égard de la littérature : elle doit révéler à l'auteur sa véritable identité, mettre à nu ce « moi » qui le hante comme un double, un moi qu'il poursuit dans ses plus intimes replis, presque cruellement, et exhibe sans fard, dans la lumière crue d'une écriture qui ne veut que dire la vérité. Mais l'on sait bien que toute vérité possède plusieurs facettes et que celle qu'un écrivain peut nous proposer de livre en livre ne dessine en fin de compte qu'un portrait imparfait. Ce n'est donc pas son autobiographie qu'Hervé Guibert écrit, mais des romans. S'ils se nourrissent de la matière même de sa vie, ils restent malgré tout à une distance suffisante pour que la lucidité et l'objectivité s'y déploient, dans ce léger décalage où la fiction peut encore doubler la réalité la plus dure d'une ironie salvatrice.

Une écriture de la trahison

Dans À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie, comme dans ses livres précédents, Guibert a choisi de se mettre en scène, lui et ses amis. Mais, bien que « tout soit scrupuleusement exact », comme il le précise dans une interview, tous ceux qui sont décrits ou simplement évoqués dans le livre « ne sont pas tout à fait ce qu'ils sont dans la réalité », et « même celui qui est Hervé Guibert dans le livre est un personnage ». Aussi le label « roman à clés » paraît-il ici bien injustifié. Certes, Guibert a eu pour amis Michel Foucault et Isabelle Adjani, mais ce qui l'a poussé à dévoiler ici ces pans méconnus de leur vie privée entre dans le cadre d'une problématique spécifiquement littéraire : écrire, en effet, pour l'auteur, c'est trahir, et trahir, c'est s'exclure de la communauté des hommes. Mais si écrire, c'est divulguer des secrets, éclairer des zones d'ombre, tout en brouillant les pistes, alors il faut choisir un « ton » particulier : celui de la confidence. C'est ce qu'a fait Guibert. En accompagnant certaines « révélations » d'une fausse innocence non dénuée d'humour, voire d'une certaine méchanceté, qu'il revendique pleinement : « il y a dans ce livre un parti pris agressif, violent, virulent comme l'est le sida ».

Le sida : c'est le personnage principal du livre, qui oblige Guibert à opter pour cette chronologie particulière, chaotique, sorte de mémoire personnelle, affective et sélective, telle qu'on pourrait la rencontrer dans un journal intime. Quand Guibert commence ce livre, il se sait condamné par cette maladie inexorable qu'il définit plutôt comme « un état de faiblesse et d'abandon ». Et ce livre, entrepris pour avoir « un compagnon, un interlocuteur auprès duquel rêver et cauchemarder », est écrit à la fois contre la maladie et avec elle, grâce à elle : « J'avais ce gros livre plat et laborieux sous la main, et, avant même de l'avoir commencé, je savais qu'il serait de toute façon incomplet et bâtard, car je n'avais pas le courage d'affronter sa vraie première phrase, qui me venait aux lèvres, et que je repoussais chaque fois le plus loin possible de moi comme une vraie malédiction, tâchant de l'oublier car elle était la prémonition la plus injuste du monde, car je craignais de la valider par l'écriture : „Il fallait que le malheur nous tombe dessus.“ Il le fallait, quelle horreur, pour que mon livre voie le jour ».

C'est avec une précision quasi clinique que Guibert détaille la manière dont le virus travaille son corps, sa conscience et son écriture. Sans se laisser déborder par l'émotion ou la détresse, comme s'il était l'observateur silencieux de lui-même, il raconte l'histoire[...]

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Pour citer cet article

François POIRIÉ. À L'AMI QUI NE M'A PAS SAUVÉ LA VIE, Hervé Guibert - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Hervé Guibert - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

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