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LEYS SIMON (1935-2014)

Pierre Ryckmans, qui prit le pseudonyme de Simon Leys et fut l’un des plus grands sinologues de notre époque, est mort le 11 août 2014 à Sydney (Australie) où, de 1987 à 1993, il avait dirigé à l’université la section des études chinoises.

À un moment où le « marché chinois » conduit les dirigeants occidentaux à aller s’incliner devant les dirigeants de Pékin, il n’est pas inutile de revenir sur l’œuvre de celui qui, à un moment où toute l’intelligentsia, de droite comme de gauche, chantait les louanges de Mao Zedong, dévoila la véritable nature du régime instauré par le Grand Timonier.

Simon Leys - crédits : William West/ AFP

Simon Leys

Né le 28 septembre 1935 à Uccle (Belgique), Pierre Ryckmans appartient à une grande famille de la bourgeoisie belge, aux origines tant malinoises qu’anversoises. Après des études de droit et d’histoire de l’art, il commence à étudier la langue et la civilisation chinoises. En apparence, rien n’avait préparé ce spécialiste de la peinture chinoise, qui a écrit de merveilleux textes sur Shi Tao, à s’occuper de politique. La plupart de ses collègues, en effet, s’intéressaient à la Chine comme les latinistes s’intéressent à l’Empire romain. Ce qui le différenciait d’eux, c’était un profond amour pour ce pays, sa culture, et ses habitants. La publication de son livre Les Habits neufs du président Mao, en 1972, fit l’effet d’une bombe. En se fondant sur des sources recueillies à Hong Kong où il se trouvait en poste – journaux de gardes rouges, témoignages de fugitifs, analyse des documents officiels –, Simon Leys, le pseudonyme que Pierre Ryckmans avait choisi à cette occasion, donnait une image terrible de la Chine de Mao. Loin de vouloir libérer la créativité des vastes masses chinoises, comme le proclamaient les membres des groupes maoïstes, Mao avait transformé la République qui n’avait de populaire que le nom en une vaste prison, où les jeunes embrigadés étaient envoyés dans l’océan des campagnes. Les gardes rouges qui avaient osé réfléchir sur les origines de la dictature étaient impitoyablement emprisonnés. Pour regagner son pouvoir, le tyran qui voulait transformer la Chine en une « page blanche sur laquelle on peut écrire les plus beaux poèmes », n’avait pas hésité à lancer l’armée contre ceux qu’il avait utilisés pour abattre ses adversaires. Simon Leys allait poursuivre son analyse clinique du système avec Ombres chinoises (1974) et Images brisées (1976).

Et faisant preuve d’une modestie acerbe à l’image de son maître Lu Xun, le grand écrivain des années 1930, Simon Leys affirmait qu’il n’avait fait que lire les textes de ce « grand penseur » et la presse du régime. Pour lui, la maolâtrie était d’autant plus choquante qu’il suffisait de regarder l’image de la réalité fournie par la presse officielle pour se rendre compte de l’atrocité du régime.

Cet amoureux de la culture chinoise n’a pas supporté que le régime tente de décerveler un peuple pour lequel il éprouvait de profonds sentiments. Son style acéré, l’ironie qui se cachait derrière la douceur d’un honnête homme rappellent là encore Lu Xun. Sous son vrai nom de Pierre Ryckmans, il a écrit sur la peinture des textes qui demeureront, et dont certains ont été publiés dans l’Encyclopaedia Universalis. De même, il montre sa profonde connaissance de la philosophie chinoise. L’essai qu’il consacre au rapport que les Chinois entretiennent avec leur passé, publié dans La Forêt en feu (1983), explique que pour eux les vestiges architecturaux comptent beaucoup moins que l’écrit. Sa fascination pour la culture de l’Empire du Milieu l’a conduit à produire en 1987 une magnifique traduction des Analectes de Confucius, ce philosophe embaumé par la tradition et dont il souligne combien, au contraire, il était contestataire pour son époque.

Pour toute une génération de spécialistes de la Chine, la lecture[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au CNRS, Centre d'études et de recherches internationales-Sciences Po

Classification

Pour citer cet article

Jean-Philippe BÉJA. LEYS SIMON (1935-2014) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Simon Leys - crédits : William West/ AFP

Simon Leys

Autres références

  • BELGIQUE - Lettres françaises

    • Écrit par Marc QUAGHEBEUR, Robert VIVIER
    • 17 494 mots
    • 5 médias
    ...aussi à une sorte de fantasmatisation ironique du réel historique, considéré à l'aune d'une grande figure de l'histoire, qu'a recours l'éminent sinologue Simon Leys, lequel dénonça les errements de la révolution culturelle chinoise avec Les Habits neufs du président Mao (1971) à l'heure de la vague...

Voir aussi