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BERGOUNIOUX PIERRE (1949- )

La biographie de Pierre Bergounioux tient en une ligne et demie sur la quatrième de couverture de ses ouvrages : « né à Brive en 1949 », il est « professeur de lettres dans la région parisienne ». La platitude de l'information, en violente rupture avec la touffeur et la beauté de cette œuvre majeure, est à elle seule la marque d'un humour singulier, éloigné de tout comique, qui éclaire les nombreux romans et récits parus depuis 1984. On finit aussi par savoir qu'il passe son enfance à Brive, jusqu'à l'âge de dix-sept ans, qu'il fait ses années de khâgne à Limoges et à Bordeaux, qu'il intègre l'École normale supérieure de Saint-Cloud, obtient l'agrégation de lettres modernes et soutient une thèse de doctorat consacrée à Flaubert, sous la direction de Roland Barthes. Les voyages l'attirent peu. Il a milité au PCF de 1970 à 1985, après un détour chez les « maos », dans la suite du mouvement de Mai-68. Une vie ordinaire en somme, si elle n'était la condition nécessaire pour accéder à l'autre vie, celle de l'écriture, engagée à trente-cinq ans avec Catherine (1984) et à laquelle il se consacre totalement depuis lors.

Admirateur de Flaubert, acharné à composer une œuvre exigeante, il laboure patiemment les terres de la mémoire corrézienne en façonnant la langue française à la manière d'un céramiste du Néolithique. À partir de ses souvenirs d'enfance et de la recomposition de la vie des gens de sa famille dans le Limousin ou le Quercy (La Maison rose, 1987), Pierre Bergounioux fait surgir un bloc de mots, compact et fluide, rugueux et poli, ordonné et déraisonnable. Athée, matérialiste, cette écriture accouche de personnages qu’on distingue mal de la grossièreté végétale, des arbres et des pierres, de la pluie ou des papillons (Le Grand Sylvain, 1993), des oiseaux et des sources dont l'auteur portera « toujours le deuil ». Le fil narratif est mince.

Ficeler une intrigue n'a guère d'intérêt quand l'essentiel réside dans l'entreprise ontologique de dévoilement par le langage des choses dans leur apparition même, dans l'étonnement des commencements. La narration des enfances provinciales dans les années 1950 ou 1960 (La Bête faramineuse, 1986 ; L'Arbre sur la rivière, 1988 ; Le Matin des origines, 1992 ; La Toussaint, 1994 ; La Mort de Brune, 1996 ; Le Premier Mot, 2001), celle de la Grande Guerre et de ses conséquences (L'Orphelin, 1992) n'a rien du passéisme de la littérature régionaliste qu'a produite la Corrèze. Pas plus que l'évocation des vies obscures et rebelles d'une institutrice (Miette, prix France Culture 1995), d'un bûcheron (Ce Pas et le suivant, 1985) ou d'un grand-père paternel reconstruit à partir d'une photographie (François, 2001).

Les récits de Bergounioux explorent « les troubles obscurs, chroniques, auxquels les ressources locales permettent plus ou moins de remédier » (Simples, magistraux et autres antidotes, 2001). Chacun d'eux participe de la construction du présent et de l'universel, quand le narrateur se fait le lieu géométrique des accidents de l'histoire dans le récit des émotions et des chimères : « on est les choses auxquelles on naît ». Les premiers tracteurs corréziens (Le Chevron, 1996), qui signent la mort d'une civilisation agraire séculaire, la passion obstinée et l'œil crevé de ce sauvage qui a pour bagage un chandail et un livre de grammaire (Ce pas et le suivant), les aboiements des chiens (La Casse, 1994) ou les écailles de poisson (La Ligne, 1997), tout se confond en une même assomption poétique de l'être, le même insaisissable des choses « rétives, dures, inexorables ».

La peine d'écrire, le travail de la raison fragile pour décrasser l'univers de l'ignorance (Descartes, Hegel), les souvenirs[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de littérature française
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Universalis et Michel P. SCHMITT. BERGOUNIOUX PIERRE (1949- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ROMAN - Le roman français contemporain

    • Écrit par Dominique VIART
    • 7 971 mots
    • 11 médias
    ...remodelage qu’impose l’écriture. Le même souci de comprendre d'où l'on vient et combien ce trajet est lesté de déterminismes anime romans et récits de Pierre Bergounioux (La Maison rose, 1987 ; L'Orphelin, 1992), lequel construit autour de son propre cas familial une réflexion contextuelle nourrie...

Voir aussi