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NEKRASSOV NIKOLAÏ ALEXEÏEVITCH (1821-1877)

La quête de la justice

Les thèmes

Ce tourment, ces remords qui le rongeaient, constituent un des thèmes majeurs de sa poésie.

Un autre thème, le plus important, est celui du peuple. L'homme déchiré et souffrant qu'était Nekrassov avait besoin de s'appuyer sur quelque chose de positif et de consolant. Il lui fallait se créer sa propre mythologie, ses propres dieux. C'est ce qu'il fit en divinisant le peuple.

Ses souvenirs d'enfance lui apportèrent les matériaux réalistes et les éléments émotionnels dont il avait besoin. Pendant les tournées faites autrefois avec son père, ispravnik (commissaire de police du district), dans les villages de la région de la Volga où s'écoula son enfance, Nekrassov avait vu de près les injustices, les misères, la pauvreté, l'ignorance. De cette connaissance intime de la vie des campagnes, de la tendresse que le peuple avait su lui inspirer devaient naître les grands thèmes d'une poésie qui frappe par son originalité et sa puissance lyrique.

Pour incarner ces thèmes nouveaux, Nekrassov sut créer un style poétique approprié. Certes, il y a chez lui des fautes de goût, des prosaïsmes nombreux. Mais la force de son inspiration, la variété de sa prosodie, la richesse de son invention verbale, l'intensité et le lyrisme poignant de l'ensemble rendent négligeables les imperfections de détail.

Celles-ci proviennent d'un certain manque de sens critique : excellent juge de la poésie des autres, Nekrassov est souvent mauvais juge de la sienne. Mais la vraie raison en est l'intensité de l'élan poétique et de l'ébranlement intérieur, dont il est la conséquence. Un homme qui a mal crie. Il ne réfléchit pas sur la forme ni l'harmonie de ce cri. La poésie de Nekrassov n'est qu'une immense plainte. C'est ce qui lui donne son caractère unique de spontanéité et d'authenticité. La profondeur du sentiment exprimé, la grandeur des thèmes évoqués sont telles que toute critique tatillonne et purement esthétique s'arrête. Sa ferveur lyrique empoigne malgré les prosaïsmes qui viennent s'y glisser. L'impression d'ensemble est grandiose et Nekrassov reste incontestablement un des poètes les plus originaux qu'ait produits la Russie : « Je ne pardonne aussi volontiers leurs erreurs à personne autant qu'à Nekrassov », écrira Tchekhov.

Les formes et la métrique

L'œuvre poétique de Nekrassov peut être divisée en deux parties. Dans la première, la plus faible et la plus conventionnelle, il utilise les formes littéraires traditionnelles, héritées de Pouchkine et de sa pléiade.

Dans la seconde, celle qui lui assure l'immortalité, Nekrassov crée des formes inspirées des chansons populaires. Il n'imite jamais ces chansons mais, tel un barde, il sait créer des formes nouvelles tout en s'inspirant des mètres populaires. Il introduisit ces mètres dans la littérature et les adapte aux mètres classiques. Inversement, il agit par ses innovations sur l'évolution du folklore, spécialement sur les couplets populaires appelés tchastouchki.

Le mètre le plus généralement employé par Nekrassov est le dactyle à quatre pieds, mètre favori des chansons russes. Prolongé encore par des répétitions de mots, c'est lui qui donne aux chansons populaires leur allure lente et nostalgique.

Sa conception idéalisée du peuple le fait souvent tomber dans le piège de la sentimentalité. Mais des poèmes comme Vlas (1854), Les Colporteurs (Korobeïniki, 1861), La Patrie (Rodina), Le Gel au nez rouge (Moroz Krasnyï nos, 1863) et surtout Qui vit heureux en Russie ? (Komou na Roussi jit khorocho ?, 1863-1877) sont d'incontestables chefs-d'œuvre. Ce dernier poème est resté inachevé. C'est l'œuvre la plus importante de Nekrassov et l'un des monuments de la poésie russe au xixe siècle, révolutionnaire[...]

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Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Sophie LAFFITTE. NEKRASSOV NIKOLAÏ ALEXEÏEVITCH (1821-1877) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • RUSSIE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Michel AUCOUTURIER, Marie-Christine AUTANT-MATHIEU, Hélène HENRY, Hélène MÉLAT, Georges NIVAT
    • 23 999 mots
    • 7 médias
    La poésie, d'abord reléguée au second plan par le triomphe de l'esthétique réaliste, retrouve une place et un public grâce à Nicolas Nekrassov (1821-1877), qui donne un accent humanitaire au langage émotionnel de Lermontov. La Russie paysanne fournit à ses vers à la fois leur contenu social, leur tonalité...

Voir aussi