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JACOB MAX (1876-1944)

Points caractéristiques

Pour en revenir à l'ensemble de l'œuvre, il serait sans doute possible de la cadrer par quatre éléments caractéristiques, composant un carré dont les critiques auront à combiner côtés et diagonales : populisme, jonglerie, onirisme, émotion. Simplifions. Qui, avant Max Jacob, a su lier aussi intimement le quotidien diurne et nocturne, la description pittoresque aux surprises du « rêve inventé » ? Est-il possible de dessiner plus vite « les japonaises habillées d'un seul trait de plume », ou de nuancer sa palette avec plus de sensibilité qu'en diffractant le rouge, par exemple, en rouge sang, écarlate, feu, vermeil, vinaigre, mordoré, incarnat, rose bonbon, rose-blanc, aurore pâle ? Qu'y a-t-il de plus près du poème en prose – ou du rêve –, qu'y a-t-il de plus irréel que n'importe quel passage pris au hasard dans un roman ? Par exemple : « Pourquoi chacun de ces deux messieurs était-il à Robinson ? et pourquoi n'y aurait-il pas été ? Pourquoi n'y étiez-vous pas vous-même ? M. Ballan-Goujart s'attirait sciemment la jalousie d'une jeune dame, qui buvait près d'une fenêtre, en fouettant les ânes qui passaient, et Mlle Estelle passa sur un âne. » Monologue dialogué, la prose romanesque de Max Jacob est si foisonnante, si sténographique avec ses oublis de noms, ses résistances, ses suspens, ses dérives, ses parleries où, sans cesse, l'on perd le fil qui se renoue ensuite, que la recherche d'une montre en or, la vente d'un terrain, le mariage de M. Maxime Lelong et d'Estelle, etc., ont le caractère obsédant de la dramaturgie du rêve ; et réciproquement, en poésie, le rêve est inventé ou réinventé avec tant d'exactitude qu'il passerait pour un récit de veille. C'est en poésie que triomphe la jonglerie verbale, les jeux de mots pour rire, souligner, incarner dans le son le vrai sens poétique, bref des expériences pour voir, donner à voir. Mais, en regard de cette jonglerie, il faudrait suivre l'émotion, tantôt, en sa mobilité, dans une ponctuation hérissée de points d'interrogation, d'exclamation, de suspension, de tirets et de parenthèses, tantôt, en son apaisement, dans la coulée d'une phrase ou d'un paragraphe sans virgule ou presque sans virgule : « En descendant la rue de Rennes, je mordais dans mon pain avec tant d'émotion qu'il me sembla que c'était mon cœur que je déchirais », ou encore cet admirable : « En revenant du bal, je m'assis à la fenêtre et je contemplais le ciel : il me sembla que les nuages étaient d'immenses têtes de vieillards assis à une table et qu'on leur apportait un oiseau blanc paré de ses plumes. Un grand fleuve traversait le ciel. L'un des vieillards baissait les yeux vers moi, il allait même me parler quand l'enchantement se dissipa, laissant les pures étoiles scintillantes. »

Grand poète et, peut-être, grand romancier, homme de chair, homme reflet, Max Jacob est entré dans l'histoire des lettres.

— Yvon BELAVAL

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-I-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Yvon BELAVAL. JACOB MAX (1876-1944) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Max Jacob - crédits : Sasha/ Hulton Archive/ Getty Images

Max Jacob

<it>Portrait de Max Jacob</it>, A. Modigliani - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Portrait de Max Jacob, A. Modigliani

Autres références

  • TOULOUSE ROGER (1918-1994)

    • Écrit par Guy BELOUET
    • 616 mots

    En 1936, Max Jacob dépose un petit mot chez le libraire orléanais qui expose quelques toiles à sa devanture, à l'intention de leur auteur : « Monsieur, votre peinture m'intéresse, venez à Saint-Benoît ». Il venait à l'instant même de découvrir Roger Toulouse. Le choc de la rencontre entre les deux...

Voir aussi