TORRES VILLARROEL DIEGO DE (1694-1770)
De cet écrivain espagnol qui a publié l'essentiel de ses œuvres dans la première moitié du xviiie siècle, la renommée n'a guère franchi les Pyrénées. Pourtant, il fut sans conteste le plus célèbre de son temps. Diego de Torres Villarroel est né à Salamanque en 1694, dans un milieu de petits boutiquiers. Très tôt se manifeste en lui une vocation d'écrivain, d'abord à travers le pastiche d'écrivains admirés, Quevedo surtout. À partir de 1726, il enseigne les mathématiques et l'astrologie à l'université de Salamanque — en un temps où ces disciplines sans prestige sont liées —, moins par prédilection que pour s'assurer un statut officiel dont il saura se prévaloir à l'occasion. Alors commence ce que l'on pourrait appeler la double vie de Diego : peu assidu dans les salles de cours où les auditeurs vont surtout savourer ses plaisanteries, il passe le plus clair de son temps à Madrid chez des protecteurs de haut lignage pour lesquels il organise des fêtes musicales et théâtrales.
Amuseur dans la vie, Diego de Torres Villarroel veut l'être aussi en littérature, à travers des récits fantastiques, et surtout une cinquantaine d'almanachs publiés annuellement à partir de 1718. Mais il prétend encore toucher à bien des genres et à bien des formes : théâtre, poésie, roman, traité de vulgarisation scientifique, pamphlet, hagiographie, tout l'attire, pourvu que sa renommée sorte grandie d'une pratique littéraire qui, dans la plupart des cas, a partie liée avec le discours sur soi.
La distance tapageuse prise avec l'institution universitaire lui vaut la solide inimitié de ses collègues — et peut-être une dénonciation à l'Inquisition, qui expurge en 1743 l'un de ses traités de morale. De multiples incidents émaillent sa carrière (de 1732 à 1734, il devra s'exiler au Portugal, et, de 1758 à 1762, il sera en lutte ouverte avec le Conseil de son université). En 1745, il est ordonné prêtre, prend sa retraite en 1750 et se consacre, en 1752, à l'édition en souscription (la première en Espagne) de ses œuvres complètes en quatorze volumes.
De cette œuvre multiforme et inégale, on ne signale ici que quelques aspects essentiels :
– Les songes fantastiques, au premier rang desquels la trilogie des Visions et visites de Torres avec Don Francisco de Quevedo à travers la capitale (1727-1728). Dans ce texte, l'ombre de Quevedo vient surprendre Diego dans son sommeil, et lui demande de le guider dans Madrid. Cette promenade édifiante sera le fil conducteur d'une critique souvent acerbe, entremêlée de portraits arcimboldesques. Dans La Barque de Caron (1731), Torres, transporté en Enfer, passe en revue une troupe de damnés. Si certains (médecins, juristes, femmes) constituent une cible traditionnelle de la satire, d'autres (nobles et universitaires) donnent l'occasion à l'auteur d'engager une critique de plus large portée.
– Les almanachs. Pour ses contemporains, Diego fut avant tout El Gran Piscator de Salamanca, le fameux pronostiqueur qui sut inventer un genre nouveau, aussitôt plagié : l'opuscule annuel est généralement dédié à un grand personnage, et comporte un prologue à caractère souvent autobiographique, ainsi qu'un scénario burlesque dont Diego est le héros. Ainsi remodelé, l'almanach devient un espace privilégié du discours sur soi.
– L'autobiographie. Diffuse dans toute l'œuvre, la démarche autobiographique s'épanouit dans un livre maintes fois réédité : la Vida (1743), « mise à jour » en 1750 et en 1758 par deux nouvelles livraisons.
Pleine de lui-même, l'œuvre de Diego de Torres l'est aussi d'un autrui imaginé sous les apparences de l'Adversaire, du Juge ou de l'Ami confident. À chacun correspondra un visage changeant, tantôt affublé d'un masque burlesque, tantôt offert en[...]
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Écrit par
- Guy MERCADIER : professeur à l'université de Provence-Aix-Marseille-I
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