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Apollon et Daphné, Bernin

Apollon et Daphné est une des premières sculptures de Bernin. Exécutée entre 1622 et 1625, elle clôt une série de commandes réalisées à partir de 1619 pour la villa romaine du cardinal Scipion Borghèse, neveu du pape Paul V, où elle se trouve encore aujourd'hui. Comme Énée, Anchise et Ascagne fuyant Troie, groupe sculpté en 1619-1620, L'Enlèvement de Proserpine, qui date de 1621-1622, ou David, de 1623-1624, Apollon et Daphné est d'emblée destiné à être exposé dans la galerie d'un grand amateur, et à rivaliser avec les statues grecques et romaines qu'il possède.
Bernin voulait aussi, sans aucun doute, se montrer égal ou supérieur aux sculpteurs modernes les plus éminents, et tout d'abord à Michel-Ange. Les versions que donnent l'un et l'autre artiste de la figure de David s'opposent ainsi complètement, même s'ils se réfèrent tous deux aux modèles antiques, l'Antinoüs pour Michel-Ange, le Polyphème pour Bernin. Là où Michel-Ange insiste sur la grandeur calme de son personnage, Bernin le saisit en pleine action et en plein mouvement, au moment où il bande sa fronde. Un autre sculpteur avec lequel Bernin veut d'évidence rivaliser, Jean Bologne, appartient à une génération juste antérieure. Énée et Anchise de Bernin se place ainsi dans la continuité de L'Enlèvement des Sabines de Bologne, à la Loggia dei Lanzi à Florence.
Mais Apollon et Daphné a d'abord été une sculpture conçue pour elle-même, plutôt qu'en rapport avec d'autres. Elle s'impose ainsi comme un groupe original, où Bernin démontre ses qualités propres. Celles-ci sont avant tout techniques, apparaissant dans le rendu des matières, en particulier minérales et végétales. Le sol est laissé presque brut, les traces apparentes de l'instrument utilisé par l'artiste, la gradine, ciseau dentelé qui sert à dégrossir précisément le marbre, permettant au sculpteur d'imiter la terre ou le sable. Il en va de même des végétaux, et notamment du buisson de lauriers en quoi se transforme Daphné. Bernin a toujours cherché à provoquer ainsi l'admiration du spectateur, par exemple avec les plis des vêtements et des draps ainsi que la dentelle de l'oreiller dans La Mort de la bienheureuse Ludovica Albertoni.
Mais c'est surtout avec le traitement du sujet, tiré des Métamorphoses d'Ovide, qui invitait aussi bien à l'invention d'ensemble qu'à la virtuosité dans le détail, que l'artiste démontre son talent. La nymphe Daphné se refusait aux hommes. Apollon, qui l'aperçoit un jour, s'éprend d'elle. Elle s'enfuit, apeurée, et, sur le point d'être rattrapée, entrevoit son père, le dieu-fleuve Pénée. Elle l'implore de la sauver et sent immédiatement ses jambes se figer : elle se change en un laurier. Consterné par cette métamorphose, Apollon décide alors de faire du laurier son arbre favori, dont les feuilles le couronneront toujours. Bernin a su rendre tout à la fois le mouvement de la course et sa suspension, tout en suggérant la suite de la légende, la chevelure et les doigts de la nymphe se transformant en rameaux pendant que ses jambes deviennent le tronc de l'arbre.
Les deux visages expriment aussi les sentiments mélangés des deux protagonistes, l'étonnement et la déception d'Apollon perdant Daphné alors qu'il la rattrape enfin, comme l'effroi mêlé de soulagement et de surprise de celle-ci. C'est là un autre des traits de l'esthétique de Bernin, caractéristique de l'âge baroque : il n'hésite pas à exagérer les expressions. Ainsi, dans L'Âme damnée, l'impression immédiate produite sur le spectateur prime sur la recherche du beau idéal. Mais, dans la suite de sa carrière, l'artiste ne négligera pas pour autant ce dernier aspect, en particulier à travers les grandioses mises en scène tirées de son expérience d'architecte, mettant en valeur des statues célèbres, comme dans la chapelle Cornaro, à Rome, Sainte Thérèse d'Avila en extase.
Auteur : Barthélémy JOBERT
Bibliographie :
C. AVERY, Bernin : le génie du baroque, Gallimard, Paris, 1998 (é.o. 1997).