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19-31 août 1991

U.R.S.S.. Échec d'un coup d'État conservateur

Le 19, à la veille de la date prévue pour la signature du nouveau traité de l'Union assouplissant les structures de l'État fédéral, l'agence Tass annonce le remplacement de Mikhaïl Gorbatchev, « incapable d'assurer ses fonctions pour raisons de santé », par le vice-président Guennadi Ianaev. Le chef de l'État soviétique est retenu dans sa résidence de vacances en Crimée. Un « comité d'État » de huit membres, dont font partie le Premier ministre Valentin Pavlov, Boris Pougo, ministre de l'Intérieur, Vladimir Krioutchkov, président du K.G.B., et le maréchal Dimitri Iazov, ministre de la Défense, décrète l'état d'urgence pour six mois, restaure la censure de la presse et interdit toute manifestation. Des blindés prennent position dans le centre de Moscou, en particulier autour du Parlement de la république de Russie, installé dans un bâtiment que les Moscovites appellent la « Maison-Blanche ». Boris Eltsine, le président russe, s'y retranche après avoir appelé, du haut d'un char, les troupes à désobéir aux putschistes. Il dénonce ce « coup d'État réactionnaire », appelle à la grève générale et prend le contrôle des opérations sur le territoire russe, personnifiant ainsi la résistance aux forces conservatrices. Des milliers de Moscovites, bravant l'interdiction de manifester, se rassemblent autour de la « Maison-Blanche », érigeant des barricades pour la défendre de tout assaut. À Leningrad aussi, la résistance s'organise rapidement autour du maire réformateur de la ville, Anatoli Sobtchak. Le « président par intérim » adresse aux chefs d'État et de gouvernement étrangers un message assurant que l'U.R.S.S. assumera ses obligations internationales. Mais le coup de force est critiqué par la plupart des pays. George Bush exprime son soutien au président russe et annonce le gel de la coopération américano-soviétique. Les marchés financiers réagissent brutalement à l'événement : baisse de 9,4 p. 100 à Francfort – l'économie allemande est la plus engagée à l'Est –, de 7,3 p. 100 à Paris ; le dollar enregistre une forte hausse.

Le 20, des divisions commencent à apparaître entre les conjurés : le Premier ministre Valentin Pavlov, officiellement malade, est remplacé par Vitali Dogoujiev, premier vice-Premier ministre. À La Haye, au terme d'une réunion extraordinaire des ministres des Affaires étrangères de la C.E.E., les Douze « condamnent fermement » le coup d'État, suspendent leur aide économique à l'U.R.S.S. et réclament le rétablissement de Mikhaïl Gorbatchev dans ses fonctions. La nuit s'annonce décisive : l'instauration du couvre-feu dans la capitale fait craindre un assaut contre le Parlement russe.

Dans la nuit du 20 au 21, un accrochage entre blindés et manifestants fait trois morts à Moscou. Mais, à l'aube du 21, l'absence d'assaut massif apparaissant comme un aveu de faiblesse de la part des putschistes, Boris Eltsine rassemble autour de lui de plus en plus de partisans. La confusion dure jusqu'au milieu de l'après-midi, moment où l'agence Tass annonce la dissolution du comité d'État pour l'état d'urgence : le putsch a échoué. Boris Pougo se suicide et les sept autres conjurés sont arrêtés, afin d'être jugés. Mikhaïl Gorbatchev regagne Moscou dans la nuit du 21 au 22 avec sa famille : saluant la « victoire de la perestroïka », il exprime son « respect au peuple soviétique et à Boris Eltsine ». Le « grand courage » et l'« immense stature » du président russe sont également salués par George Bush, tandis que le soulagement est général dans la plupart des capitales : seuls l'Irak et la Libye ont officiellement soutenu les putschistes. Les marchés financiers accentuent leur mouvement de redressement amorcé dès la veille, le dollar retrouve ses cours antérieurs au coup d'État, les sanctions économiques annoncées depuis trois jours sont levées.

Le 22, à Moscou, Boris Eltsine est acclamé par plus de cent mille personnes enthousiastes qui brandissent, au lieu du drapeau rouge, la bannière tricolore russe. Sa position face à Mikhaïl Gorbatchev apparaît considérablement renforcée. Il exerce même son pouvoir dans les organismes d'État : il limoge les directeurs conservateurs des organes de presse soviétiques et suspend la parution de la Pravda, organe du P.C.U.S. Dans une conférence de presse, Mikhaïl Gorbatchev fait le récit de sa détention. C'est pour lui l'occasion de reconnaître qu'il a eu tort de nommer ceux qui ont voulu l'évincer. Souhaitant une nouvelle « alliance » avec les forces démocratiques menées par le président russe, il continue cependant à défendre l'idée d'une réforme du Parti communiste. Mais ses propos paraissent dépassés, alors que des manifestations d'hostilité au parti éclatent dans la plupart des républiques, et qu'à Moscou des milliers de manifestants, réunis dans la soirée du 22, place de la Loubianka, déboulonnent la statue de Felix Dzerjinski, fondateur en 1918 de la police politique, ancêtre du K.G.B.

Le 23, le nouveau rapport de forces entre Boris Eltsine et Mikhaïl Gorbatchev est mis en évidence au cours d'une séance houleuse du Parlement de Russie télévisée en direct, durant laquelle le président russe signe un décret suspendant les activités du P.C. sur le territoire de la Russie. Les biens de ce dernier, considérables, sont mis sous scellés, ainsi que ceux du K.G.B., et leurs archives sont saisies. Le gouvernement soviétique, dont Boris Eltsine apporte la preuve qu'il est compromis dans le putsch, est dissous. Des personnalités réformatrices ou qui ont clairement dénoncé le putsch sont nommées à la tête du K.G.B., du ministère de l'Intérieur et de celui de la Défense.

Le 24, Mikhaïl Gorbatchev assiste, place du Manège à Moscou, aux funérailles des trois victimes du putsch, qui ont été faites « héros de l'Union soviétique ». Plus d'un million de personnes y participent autour d'une gigantesque bannière aux trois couleurs de la Russie. Le chef de l'État soviétique, tout en se refusant à « condamner tous les communistes », en vient à dénoncer l'attitude des dirigeants du P.C.U.S. pendant le putsch et annonce sa démission de son poste de secrétaire général. Il nomme le Premier ministre russe Ivan Silaev, second de Boris Eltsine, à la tête d'un comité chargé des problèmes économiques à l'échelon fédéral, faisant de lui en fait un Premier ministre soviétique par intérim. L'agitation gagne également les républiques, qui, à l'exemple des pays baltes, profitent de l'affaiblissement du pouvoir central : le Parlement d'Ukraine proclame l'indépendance de la république, imité, le lendemain, par celui de Biélorussie. Le maréchal Sergueï Akhromeev, conseiller militaire de Mikhaïl Gorbatchev, se pend.

Le 25, le comité central du P.C.U.S. prononce sa dissolution, conformément au vœu exprimé la veille par Mikhaïl Gorbatchev. La plupart des activités sont interdites dans l'Union, et ses actifs, évalués à 4 milliards de roubles (environ 12 milliards de francs), sont placés sous le contrôle des Parlements des républiques, ce qui entraîne, le lendemain, le suicide de Nikolaï Kroutchina, administrateur du comité central.

Le 26, le Soviet suprême soviétique se réunit en session extraordinaire à Moscou. Son président, Anatoli Loukianov, que Boris Eltsine a accusé d'avoir été l'instigateur du putsch, démissionne, avant d'être arrêté trois jours plus tard. Mikhaïl Gorbatchev propose la reprise du processus de signature du traité de l'Union, ainsi que l'organisation d'une élection présidentielle au suffrage universel. Pour sa part, Boris Eltsine fait publier un communiqué évoquant le droit pour la Russie de reconsidérer ses frontières avec les républiques qui, comme l'Ukraine, voudraient quitter unilatéralement l'Union. Ces déclarations ne sont pas sans raviver, dans les républiques voisines, la crainte ancestrale d'un impérialisme grand-russe.

Le 27, la Moldavie, arrachée à la Roumanie en 1940 en application du pacte germano-soviétique, déclare à son tour son indépendance, immédiatement reconnue par Bucarest. Évoquant devant le Soviet suprême les dangers qui planent sur l'Union et exploitant habilement les craintes nées de la menace de révision des frontières brandie par Boris Eltsine, Mikhaïl Gorbatchev parvient à rétablir une partie de son autorité en mettant sa démission en balance en cas d'éclatement de la fédération.

Le 28, Boris Pankine, ambassadeur à Prague, est nommé ministre des Affaires étrangères, en remplacement d'Alexandre Bessmertnykh, qui a été limogé, et Vitali Ignatenko, ancien porte-parole de Mikhaïl Gorbatchev, devient directeur de l'agence Tass. Cette reprise en mains des médias se conclut le lendemain par la reparution de la Pravda, ex-organe du comité central, avec à sa tête un nouveau rédacteur en chef, Guennadi Seleznev.

Le 29, le Soviet suprême, après avoir suspendu les activités du P.C.U.S. sur l'ensemble du territoire de l'Union et retiré au président Gorbatchev les pouvoirs spéciaux en matière économique qui lui avaient été attribués en décembre 1990, décide de se dissoudre. Ce même jour, à Kiev, les républiques de Russie et d'Ukraine, les deux plus peuplées de l'Union, signent un accord sur le respect de leur frontière commune et la mise en place de « structures interétatiques » de coopération économique et militaire.

Le 30, l'Azerbaïdjan proclame son indépendance, tandis que la Russie signe avec le Kazakhstan un accord similaire à celui conclu la veille avec l'Ukraine.

Le 31, le Kirghizstan et l'Ouzbékistan proclament à leur tour leur indépendance.

—  ENCYCLOPÆDIA UNIVERSALIS

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