Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

SAINT LOUIS (J. Le Goff)

En rédigeant Le Dimanche de Bouvines, paru en 1973, Georges Duby, l'un des maîtres de la « nouvelle histoire », avait délibérément affronté la présentation d'un événement ; vingt-trois ans plus tard, Jacques Le Goff, éminent représentant de l'école des Annales, proposait le fruit d'un autre défi, celui de la biographie, et, qui plus est, d'une figure de légende, le saint roi de France Louis IX (coll. Bibliothèque des histoires, Gallimard, Paris, 1996). Il en résulte une grande leçon d'histoire, tant par la richesse de ses informations que par l'ampleur de sa réflexion méthodologique. À l'image de l'ambition des auteurs du xiiie siècle qui tentèrent de rassembler dans leurs œuvres tout le savoir du temps, cette biographie constitue une véritable somme sur le xiiie siècle.

En préface, l'auteur a éprouvé la nécessité de s'expliquer sur une entreprise par laquelle il souhaite dépasser la « fausse opposition » introduite entre une histoire narrative et une histoire structuraliste, à travers l'approche d'un personnage central du xiiie siècle, point d'observation privilégié, dont la vie est bien documentée par des sources abondantes et variées. Ce n'est donc ni « la France au temps de Saint Louis », ni « Saint Louis en son temps » qui retinrent l'historien au cours de ces longues années de préparation, mais bien la volonté tenace d'accéder à « l'individu » Saint Louis ou, du moins, de garder constamment à l'esprit la lancinante question : « Est-il possible de parler de Saint Louis ? », d'un homme dont la silhouette ne se dessine qu'à travers le prisme déformant des sources. Il en résulte un ouvrage dont la construction, déconcertante au premier abord, s'avère totalement novatrice, invitant le lecteur à suivre pas à pas le cheminement de la réflexion de l'historien.

Fidèle au style traditionnel de la biographie, la première partie se veut narrative. Nourrie des recherches les plus récentes, elle livre la vie du roi en ses grandes étapes, de sa naissance à sa canonisation, sans s'engager dans l'histoire de la destinée posthume, française et européenne, de Saint Louis, laquelle pourrait faire l'objet d'une étude à part entière. Cependant, Jacques Le Goff ne souhaite pas s'en tenir au simple exposé des informations fournies par les historiens du xiiie siècle : en effet, celles-ci résultent de la production d'une « mémoire royale », de teneur éminemment variable d'une source à l'autre, en fonction de leur provenance respective ; à l'historien de savoir débusquer le trait ! L'auteur s'y emploie tout au long de la partie centrale de l'ouvrage. Sont ainsi mises au jour les sérieuses nuances qui distinguent le roi des hagiographes, produit de la spiritualité des ordres mendiants, de celui des chroniqueurs de Saint-Denis, roi dynastique et national, ou encore de celui des auteurs des Miroirs des princes, source de paix et de justice pour son peuple. Pour leur part, les documents officiels laissent transparaître une figure abstraite mais de plus en plus agissante dans le royaume. Celle que campe l'historien anglais Matthieu Paris n'est autre qu'un modèle proposé à son propre roi, Henri III, dont il n'apprécie guère le comportement, alors que le franciscain Salimbene de Parme donne l'un des portraits les plus émouvants d'un roi qui s'avance vers une délégation de frères mineurs, à pied, dans la simplicité, « élancé et gracile ». Parmi cet ensemble, une chance exceptionnelle : la biographie de Joinville, le familier et l'ami fidèle, qui prit la plume après la canonisation, sans arrière-pensées, pourrait-on croire... Jacques Le Goff démontre qu'il n'en est rien et que la perception du roi par le sénéchal de Champagne résulte également de la construction admirative[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : maître de conférences en histoire médiévale à l'université de Paris-I - Panthéon-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Catherine VINCENT. SAINT LOUIS (J. Le Goff) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Voir aussi