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ROSETTA (J.-P. et L. Dardenne)

Rosetta (palme d'or au festival de Cannes 1999) prouva que La Promesse n'était pas simplement l'heureux fruit d'une rencontre miraculeuse entre un sujet et des cinéastes à la carrière déjà longue mais encore obscure pour beaucoup. Le projet des frères Luc et Jean-Pierre Dardenne demeure : proposer une radiographie de la société, pas seulement belge, à travers des personnages singuliers, dans les divers sens du terme. Même s'il se trouve confronté à son père Roger comme à la jeune Noire Assita, l'Igor de La Promesse reste un personnage solitaire, confronté à ses contradictions affectives et morales. Rosetta (Émilie Duquenne, prix d'interprétation ex aequo avec Séverine Caneele) radicalise cette situation. C'est une jeune femme marginalisée socialement (sans travail, sans formation) et affectivement – père absent, mère alcoolique, aucune amie... Rares sont les films qui tiennent de manière satisfaisante le pari de suivre de bout en bout un personnage quasi unique. Ricci, le héros du Voleur de bicyclette, de Vittorio De Sica, cherche seul sa bicyclette, mais il est accompagné par le regard de son fils. Observé objectivement par la caméra d'Éric Rohmer, le Pierre Wesserlin du Signe du Lion trouve un compagnon d'infortune. Mais eux aussi ont une unique obsession : retrouver une dignité morale, s'intégrer dans la société. Rosetta, elle, est à la recherche d'un travail tout le long du film. Pas vraiment pour le travail lui-même, mais pour des raisons qu'elle se répète en dialoguant avec elle-même – pour mieux s'en convaincre ? – lorsqu'elle s'endort chez Riquet : « Tu as trouvé un travail... Tu as trouvé un ami... Tu as une vie normale... »

Mais la singularité de Rosetta va bien au-delà de sa solitude. Là où Igor acceptait au départ le compromis moral, Rosetta a un principe : vivre par le travail et non par la charité – ainsi du morceau de saumon accepté par la mère et qu'elle jette – ou l'abjection – la mère se prostituant, faute de pouvoir payer le loyer, auprès du gardien du camping où toutes deux vivent. Mère et gardien ne « voient pas la différence », l'une entre accepter des vêtements qu'elle répare ou de la nourriture, le second entre payer pour le loyer ou pour l'eau, coupée illégalement. Rosetta, elle, la voit. Par rapport à Igor qui découvrait une perspective morale dans la « promesse » faite au mari d'Assita, elle semble même un personnage d'une morale implacable, en lutte contre tout signe de déchéance. Dans sa haine de l'alcoolisme maternel, il est difficile de discerner ce qui demeure d'attachement filial à l'égard d'une mère qui n'hésite pas à la pousser dans une vase qui risque de lui être fatale. On assiste plutôt à une traque obsessionnelle, où une simple capsule de bouteille peut être l'indice d'une rechute. Rosetta s'occupe avec un soin plus que méticuleux du tablier blanc, sa tenue de travail de vendeuse de gaufres. Mais bien d'autres détails manifestent une attitude maniaque qui va au-delà d'une obsession qui ne trouverait son origine que dans une situation sociale angoissante : les bottes qu'elle cache dans le sous-bois, la gourde de sportif, les poissons qu'elle pêche et rejette dans l'étang, les comptes, le séchoir à cheveux pour apaiser une douleur abdominale obscure...

Luc et Jean-Pierre Dardenne échappent ainsi à la tentation du naturalisme sordide que faisaient craindre les prémisses du film. Dans une première scène d'une énergie et d'une violence inouïe, Rosetta, sans raison objective, est chassée de son travail dans une fabrique de surgelés. Après en avoir trouvé un autre, elle est licenciée au profit du fils du patron. La démonstration sociale marxisante pointe le nez, même lorsque Rosetta en vient à dénoncer les malversations[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

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Joël MAGNY. ROSETTA (J.-P. et L. Dardenne) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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