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OPALKA ROMAN (1931-2011)

Comment figurer le temps d'une vie et, dans le même geste, faire coïncider la réalisation de ce projet avec ce qu'il est censé présenter, tel est le programme du peintre polonais Roman Opałka. Il ne suffit pas de donner à voir une représentation plausible du temps par la peinture, il faut faire comprendre que le programme sera nécessairement interrompu par la mort de l'artiste. Figurer son propre temps consistera alors à figurer le déroulement d'une vie vouée à la disparition. Mais le temps d'une vie, c'est aussi en partie le temps de l'histoire humaine.

Roman Opałka est né en France en 1931, à Hocquincourt (Somme), de parents polonais. En 1935, se retrouvant au chômage en cette période de crise économique et sociale, le père d'Opałka regagne la Pologne avec les siens. En septembre 1939, la Pologne est envahie par l'Allemagne nazie, et au début de 1940, toute la famille est déportée en Allemagne. Libérés au printemps de 1945 par l'armée américaine, les Opałka repartent vivre une année en France, puis reviennent en 1946 s'installer en Pologne. Après ses études primaires, Roman Opałka obtient un diplôme de dessinateur lithographe ; il s'inscrit alors à l'École supérieure des arts plastiques de Lódź, et continue ses études à Varsovie. Exerçant son métier de lithographe dans les années 1950, il gagne quelques prix. C'est au cours des années 1960 qu'il réalise des peintures abstraites, les Chronomes (musée de Lódź). Au printemps de 1965, désormais hanté par l'idée de figurer le temps, Opałka met en œuvre ce qui sera dès lors son seul et unique projet. Plutôt que d'en donner une représentation métaphorique, donc inexacte, il compte réellement et concrètement le temps, en peignant ce décomptage sur la toile.

Tous les jours, le programme se déroule selon le même rituel. Sur une toile au fond gris, dont le format de 196 × 135 cm a été déterminé une fois pour toutes, Opałka traça (en 1965) à la peinture blanche et en haut à gauche du support le chiffre 1, puis 2, 3, 4, continuant de gauche à droite, revenant chaque fois à la ligne lorsque le bord de droite était atteint, parvenant dans cette première œuvre au nombre de 35 327. Chacune de ces œuvres porte le nom de Détail, suivi du premier et du dernier des chiffres inscrits, et elles portent toutes le titre générique de Opałka 1965 / 1 - ∞. En 1972, après avoir atteint le nombre de 1 000 000, il décide d'ajouter sur chaque fond gris préparé, 1 p. 100 de blanc, de telle sorte que la peinture blanche qui sert à noter les chiffres finisse par s'estomper dans la blancheur même du fond. Il nomme cette couleur « blanc mérité ». Pour éviter d'éventuelles erreurs lors de cette énorme comptabilisation, Opałka s'enregistre en train de compter en polonais les chiffres qu'il est en train de peindre. Après chaque journée de travail, il prend une photographie en noir et blanc de son visage, toujours saisi de face, comme dans un Photomaton. Certaines de ces photographies, tirées grandeur nature, sont parfois exposées avec les peintures dont elles sont contemporaines (Musée national d'art moderne, Paris) ; à mesure qu'Opałka avance dans ce dénombrement, son visage vieillit et montre dans ses rides l'avancée du temps. En 1977, il s'établit définitivement en France. En 2004, il atteint le chiffre de 5 486 028. Présentes dans de nombreux musées en France et à l'étranger, les œuvres d'Opałka, qui n'ont été l'objet d'aucun escamotage visuel ou mathématique, sont donc l'exacte coïncidence entre l'existence concrète d'un homme et le temps réel de cette existence, puisque ce que perçoit le spectateur sur la toile n'est que le résultat du temps réel qu'il a fallu compter et l'espace réel qu'il a fallu remplir pour produire tel ou tel [...]

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Écrit par

  • : professeur en esthétique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art

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Pour citer cet article

Jacinto LAGEIRA. OPALKA ROMAN (1931-2011) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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