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RICTUS GABRIEL RANDON DE SAINT-AMAND dit JEHAN (1867-1933)

Beaucoup de mystère entoure l'origine de Jehan Rictus, écrivain populaire français. Sans doute fils naturel d'un noble anglais et d'une marquise française, il passe des années d'enfance malheureuses avec sa mère, après que son père l'eut quittée. Très jeune, il abandonne sa famille et vient de Boulogne-sur-Mer à Paris. Tour à tour manœuvre, balayeur, livreur, garçon de courses, il souffre de la pauvreté. En 1888, dans une misère totale, il vit à Montmartre en clochard. C'est cette vie de malheur qu'il rapportera avec gravité dans Fil de fer (1906). Enfin, il obtient un petit emploi à l'Hôtel de Ville, où il fait la connaissance d'Albert Samain ; il noue ses premières relations littéraires en collaborant à quelques revues du symbolisme et du Parnasse, ainsi qu'au Mercure de France. En 1896, il se met à chanter au café des Quat'z'arts et son succès est très vif. Sous la forme d'un parlé rythmé qu'il invente, il aborde, dans le langage des faubourgs, toutes les misères du peuple, celles aussi qu'il a connues. Pendant plusieurs années, il chantera ainsi dans les cabarets parisiens. Il publie ses ballades en plusieurs volumes, Les Soliloques du pauvre (1897) qui l'ont fait connaître, puis Les Doléances (1899) et Les Cantilènes du malheur (1902). Tantôt il s'apitoie sur l'indigence du peuple et l'inhumanité du monde, tantôt il se révolte et se met en colère contre les grands et les nantis. Paris, la ville et ses rues, devient le symbole de ce mal et, dans une de ses chansons les plus célèbres, il y fait ressusciter le Christ, sauveur des pauvres gens. Le style parlé de ses poèmes, où fourmillent les apocopes, reste toujours naturel et populaire. Dans le même temps, au cabaret montmartrois du Lapin Agile (ex-« Lapin à Gill », parce que la façade en avait été décorée par le peintre André Gill), il fréquente l'avant-garde littéraire : Apollinaire, Jacob, Carco. Cependant, à partir de 1914, date de publication de son dernier recueil, Le Cœur populaire, il semble qu'il lui devienne de plus en plus difficile d'écrire ; il remplit d'innombrables cahiers et s'isole dans une impuissance maniaque. Le révolté proche du peuple qu'il a été se mue en homme de droite aigri : nationaliste pendant la guerre de 1914, camelot du roi en 1930. Ses chansons tristes n'étaient peut-être qu'un épanchement complaisant sur son propre sort ; avec la réussite, il aurait perdu toute la vigueur et la colère de sa jeunesse.

— Antoine COMPAGNON

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université Columbia, États-Unis

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Antoine COMPAGNON. RICTUS GABRIEL RANDON DE SAINT-AMAND dit JEHAN (1867-1933) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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