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QUELS SONT CES CHEVAUX QUI JETTENT LEUR OMBRE SUR LA MER ? (A. Lobo Antunes) Fiche de lecture

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Une parole somnambule

Le livre commence et finit dans l'ennui d'un après-midi, un dimanche de Pâques : la pluie ne cesse de tomber, tandis que la mère bientôt morte ressuscite dans le miroir déformé, tour à tour grotesque, tragique et baroque des monologues de ses quatre enfants. Le romancier, harcelé par les fantasmes de ses propres personnages, joue des différents points de vue que composent les mots de leur saudade, débordant tous les cadres traditionnels d’un roman qui se fait tout à la fois monologue, autobiographie fictive, théâtre d'ombres, poème en prose, transformant les gestes les plus quotidiens en un chant polyphonique et crépusculaire que rend à merveille la traduction de Dominique Nédellec : Francisco, le mauvais fils, rumine ses rancœurs, maudissant son père qui a ruiné la famille au casino ; son frère João, le préféré de la mère, malade, achète l'amour des garçons dans les parcs ; Ana erre sur les terrains vagues pour trouver sa dose de poudre quotidienne ; Beatriz, l'autre sœur, bascule dans la folie hallucinatoire, sous les yeux de Mercília, la vieille servante, qui sait et tait tous les secrets étouffés de la famille.

Le livre se construit à partir de cette épopée catastrophique ; chaque chapitre n'est qu'une longue phrase chatoyante, emportant tout, tâtonnant dans la folie aveugle et voyante du monologue intérieur jusqu'à la condamnation misérable de la mort, seul point final. Les expressions les plus anodines piquées dans la conversation, les albums de photos pleins d'absences fanées gonflent ce chœur de lamentations, comme si une nouvelle langue de Babel venait chanter un impossible bonheur d'exister. Les décalages multiples, le désarroi et le jeu tragi-comiques de l'auteur abusé par ses personnages, les déformations grotesques et pathétiques, les visions tragi-comiques, les leitmotive de trompeuses balivernes jouent sans cesse dans la moire somptueuse de ce maelström verbal où se mêlent les mondes intérieurs, les souvenirs, les gestes, les visages et les temps. António Lobo Antunes est le romancier superbement pessimiste de la folie et du mal ordinaires, de la stupeur de vivre et de disparaître.

— Yves LECLAIR

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Écrit par

  • : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain

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Pour citer cet article

Yves LECLAIR. QUELS SONT CES CHEVAUX QUI JETTENT LEUR OMBRE SUR LA MER ? (A. Lobo Antunes) - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 01/09/2014