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JOURDAN PIERRE-ALBERT (1924-1981)

Né à Paris, poète des plus discrets, Pierre-Albert Jourdan aura beaucoup écrit et peu publié de son vivant. Les Sandales de paille (1987) et Le Bonjour et l'adieu (1991) rassemblent l'essentiel de son œuvre poétique, de ses journaux et fragments. Dans un petit texte inédit paru en 1996 dans un recueil d'hommages qui lui fut consacré, il notait ces phrases qui pourraient servir à définir sa poétique : « Au plus fort de la bataille la poésie est, peut-être, l'angle impossible où tout, enfin, s'emboîte infiniment. Ce jeu perpétuel qui nous ravit. Nous prenons ce rapt pour ce qu'il est : la seule chance de se retrouver sur un sol qui soit vrai. »

L'écriture de P.-A. Jourdan se veut exercice spirituel, quête infinie non du sens mais de la réalité dans ce qu'elle a de plus humble, de plus éphémère, de plus rétif à la parole. Chaque poème s'attache à se déprendre des savoirs afin d'essayer de reprendre contact avec ce qui est. Le silence, la terre, l'air, la nuit sont les éléments où la parole tente de prendre pied. « De terre et de silence il faut beaucoup de nuit pour chanter l'herbe et sa lumineuse montée face au couchant. » L'espace, la lumière, le temps, l'opacité des choses entrent dans la texture des strophes et les déstabilisent, les rendant à leur précarité, les saisissant là où elles sont prêtes à finir. La concision des propos, la minceur des recueils, le goût pour la note brève témoignent chez Pierre-Albert Jourdan de la crainte d'en « rajouter » sur une réalité qui n'est pas faite pour nous la plupart du temps. D'où la méfiance à l'égard « des mots immenses » qui « écrasent tout », ne sachant répondre à l'appel simple de ce qui est là. Ce travail de dépouillement peut se lire tout au long de l'œuvre : des premiers poèmes (Langue des fumées, 1961) très proches de ceux de Philippe Jaccottet, par exemple, jusqu'aux derniers textes en prose (L'Angle mort, 1980 ; L'Entrée dans le jardin, 1981 ; L'Approche, 1984) plus personnels, et en même temps plus arides, s'approchant peu à peu de la formule la plus nue pour dire le ténu et le périssable des choses.

La maladie, les vicissitudes de l'existence, dont les atteintes n'empêchent pas la révolte, vont contraindre l'écriture et la pensée de P.-A. Jourdan à une densité et à une clarté de plus en plus patentes. « Par moments, j'en viens à me poser la question : si ce n'est pas préférable, de l'autre côté ; si la vie, que l'on voudrait pourtant célébrer, n'est pas en quelque sorte invivable. Si la paix n'est pas, franchi le seuil, dans cet espace sans espace. Au rang des feuilles mortes » (L'Approche). Exercices d'effacement ou d'éveil, telle sera cette quête d'un lieu sans mensonge où habiter. L'espace de l'écriture prend place entre une terre élue, aimée (celle du jardin de Caromb, en Vaucluse, avant tout) et le vide d'un ciel, « l'évidence pour un autre séjour ». La beauté pressentie n'est pas le signe d'une appartenance possible mais celui d'une blessure à éprouver : « De fugitifs éclairs de beauté, si visibles, élargissent encore la plaie au moment même où ils étendent un baume sur elle. » Cette plaie ajoure le monde, se mue en fracture féconde qui ouvre un espace autre où demeurer. Fécondité du vide qui est le secret même de l'être auquel ne parvient que celui qui a su traverser, sans s'y arrêter, les enchantements, réels ou illusoires, de son séjour terrestre.

Poète de la présence, P.-A. Jourdan, proche des penseurs de l'ancienne Chine, éditeur et préfacier des Cheminements de Jacques Masui, ne cède pas aux leurres d'une subjectivité pleine de soi. Le moi n'est rien d'autre pour lui que le lieu[...]

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Francis WYBRANDS. JOURDAN PIERRE-ALBERT (1924-1981) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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