Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LAFON MARIE-HÉLÈNE (1962- )

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Habiter la langue

La langue des Derniers Indiens est sobre, simple, tenue, comme celle de Joseph (2014) qui évoque la vie d’un ouvrier agricole. C’est la langue du souci délicat de l’autre : elle permet à Marie-Hélène Lafon d’accompagner ses personnages dans leurs rêveries, leurs ruminations ; c’est elle qui parle, mais à partir de leur place, et non à leur place. Il s’agit, dans cet exercice de transposition fraternelle, de ne rien inventer en réinventant tout ; la maîtrise stylistique acquise au loin, sur les bancs de la Sorbonne, permet à l’auteure de « se tenir au plus près, au plus serré » du pays premier, de « donner à ses paysages, extérieurs et intérieurs, un corps textuel ». Si Marie-Hélène Lafon est partie, c’est pour mieux rester : « c’est ce que j’appelle être à la lisière, entre deux mondes, en tension entre deux pôles, tension féconde et constitutive, je crois, de l’écriture » (Pistes, conférence à l’ENS, 2013).

Cette place, qui pourrait être invalidante, comment en vient-on à y reconnaître un privilège ? Les Pays (2012), roman de formation allègre, raconte ce progrès. Claire, montée du Cantal pour faire ses études de lettres à Paris, s’étourdit de la belle langue des auteurs. Le roman lui fait escorte, dans une langue exubérante, ornée, multipliant les acrobaties syntaxiques. Voici Claire à des lieues du Cantal. Mais le pays est « dans son sang et sous sa peau », la préservant de tout fétichisme esthétique. Claire désormais n’est plus à l’unisson de personne : lestée d’une mémoire, nantie d’une langue, oui, mais libre.

Ensuite, l’œuvre de Marie-Hélène Lafon, sans renoncer à son ancrage, connaît une ampleur renouvelée. Dans Nos vies (2017), roman parisien d’une caissière de supérette, la passion de raconter se donne libre cours ; autour de Gordana, les existences imaginées ou remémorées prolifèrent. Histoire du fils (2020, prix Renaudot) couvre tout un siècle et prend son essor, à partir du Cantal, vers Figeac dans le Lot, puis Toulouse et enfin Los Angeles. Un desserrement comparable conduit l’histoire : crispée, en amont, dans un secret de famille, elle se rassérène sous le regard généalogique des petits-enfants.

Entre virtuosité et ascèse, l’œuvre de Marie-Hélène Lafon « habite la page comme on habiterait un pays » (Traversées, 2015), ménageant pour le lecteur une place désirable, où l’intelligence et l’émotion peuvent communiquer, se renforcer mutuellement.

— Jean KAEMPFER

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur honoraire, université de Lausanne (Suisse)

Classification

Pour citer cet article

Jean KAEMPFER. LAFON MARIE-HÉLÈNE (1962- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 06/09/2021

Média

Marie-Hélène Lafon - crédits : Ulf Andersen/ Aurimages

Marie-Hélène Lafon