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PUIG MANUEL (1932-1990)

Manuel Puig occupe une place à part dans la littérature latino-américaine. Il est probablement le seul à avoir bâti une œuvre romanesque et dramatique sur un seul sujet : les médias et les langages aliénés. Né en 1932 à General Villegas, un village de la pampa argentine, il se destine très tôt, après un passage à l'université de Buenos Aires, aux études cinématographiques. Une bourse lui permet d'apprendre la mise en scène en Italie, au Centro sperimentale di cinematografia. Il travaille alors comme assistant de Cesare Zavattini et de Richard Brooks. Rétif au néo-réalisme italien, il écrit divers scénarios qui ne retiennent l'attention d'aucun producteur. C'est alors qu'il transforme l'un d'eux et publie avec éclat son premier roman, La Traición de Rita Hayworth (1968, La Trahison de Rita Hayworth). Dans ce livre, tout comme dans son troisième roman, The Buenos Aires Affair (1973, Les Mystères de Buenos Aires), on voit l'univers de Hollywood entrer en littérature avec ses fards et son vestiaire, ses strass, ses dialogues éphémères, ses voix dans le masque, ses poses et ses visages blafards. Mais rêver sa vie sur l'écran, vivre dans le mirage des images fallacieuses, c'est toujours se réveiller floué : Rita Hayworth trahit ses promesses, comme Heddy Lamarr dans Pubis Angelical (1979).

Le deuxième roman de Manuel Puig, Boquitas pintadas (1969, Le Plus Beau Tango du monde) s'attache, pour sa part, à la fascination du roman-feuilleton dont il compose un étonnant pastiche. La réalité, comme dans le cas de l'image hollywoodienne, est voilée par les schémas stupides des chansonnettes et s'englue dans la mélasse sentimentale du trop fameux tango. Mais ces personnages, parce qu'ils sont des victimes de la vie, sont tous attendrissants. Sur une littérature de quatre sous, Puig bâtit un univers romanesque d'une grande profondeur où il perce à jour, principalement, l'âme de la petite bourgeoisie provinciale d'Argentine. N'a-t-il pas déclaré un jour, avec un humour lucide : « Mon idéal, c'est le lion de la Metro Goldwyn Mayer couché sur le divan du docteur Freud » ?

Retenant les leçons du cinéma, Puig bâtit ses romans sur de savants découpages et mêle astucieusement coupures de presse, prospectus, rapports de police, courrier du cœur, paroles de chanson, voire conversations téléphoniques. Il conduit cette technique à son apogée dans El Beso de la mujer araña (1976, Le Baiser de la femme-araignée), son chef-d'œuvre, où, dans le champ clos d'une cellule, il fait bavarder un prisonnier politique et un homosexuel qui, placé là pour le faire parler et le trahir, finira par le séduire et l'aimer, avant de lui sacrifier sa vie et de mourir en héroïne de cinéma : le romanesque se confond avec une succession de récits de film alimentant la conversation et dévoilant la personnalité de chacun, le grand art de l'auteur consistant à feindre d'être absent par le recours systématique au dialogue. Deux romans de magnétophone confirmeront cette voie de l'oralité, Maldición eterna (1980, Malédiction éternelle) et Sangre de amor correspondido (1982, Sang de l'amour partagé). Son dernier roman, Cae la noche tropical (1988, Tombe la nuit tropicale), renoue avec le dialogue : deux vieilles sœurs se rappellent leur vie et méditent sur les soucis du grand âge ; à mi-chemin entre le radotage et la culture du lieu commun, ce livre apparaît, avec toute sa gravité et la présence insistante de la mort, comme le testament de l'écrivain.

Dramaturge, Manuel Puig a adapté avec succès Le Baiser de la femme-araignée, qui a fait le tour du monde. Deux autres pièces complètent sa production : Bajo un manto de estrellas (1983) et Misterio del ramo de rosas. Ajoutons-y deux scénarios publiés : La Cara del villano et Recuerdo de Tijuana[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Rennes-II-Haute-Bretagne

Classification

Pour citer cet article

Albert BENSOUSSAN. PUIG MANUEL (1932-1990) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • AMÉRIQUE LATINE - Littérature hispano-américaine

    • Écrit par Albert BENSOUSSAN, Michel BERVEILLER, François DELPRAT, Jean-Marie SAINT-LU
    • 16 898 mots
    • 7 médias
    ...(1979, La Havane pour un Infante défunt) le point de vue nostalgique d'un exilé cubain superbement doué pour l'écriture. L' Argentin Manuel Puig (1932-1990) fait de la culture à l'eau de rose la matière de romans bouleversants : Boquitaspintadas (1969, Le Plus Beau Tango du...

Voir aussi