Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LE MÉTÉOROLOGUE (O. Rolin) Fiche de lecture

L’histoire en partage

Il faudra soixante-dix ans pour que l’on retrouve la trace des charniers dans lesquels ses compagnons et lui ont péri. Entre-temps, en 1956, il aura été réhabilité. L’État soviétique n’a cependant jamais révélé sa fin. À l’occasion du XXe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique, Khrouchtchev a certes rendu public son rapport sur les crimes de Staline, mais il a évité de trop en dire. Il était lui-même impliqué dans ce vaste massacre : « la formidable machine à tuer était aussi une machine à effacer la mort », quand bien même elle ne fonctionnait plus. On doit à l’association Mémorial le travail rigoureux qui a permis de retrouver les fosses communes, de déterrer les restes afin de donner une sépulture et surtout un nom et une biographie aux victimes.

L’histoire de Vangengheim est exemplaire pour les raisons qu’on a dites – un homme moyen est pris dans la tourmente après avoir cru en la Révolution – mais aussi parce qu’elle permet d’approcher à travers un destin individuel une époque furieuse, celle de la terreur, qui suit une « violente espérance », « l’utopie en passe de devenir réalité ». Olivier Rolin cite Isaac Babel évoquant le bonheur et se demande « ce qui se serait passé si la folie de Staline … n’avait pas substitué, comme ressort de la vie soviétique, la terreur à l’enthousiasme ».

Dans son évocation, Rolin montre un pays plein de ressources et d’hommes ou de femmes audacieux, curieux, inventifs dans le domaine des sciences comme dans celui de la culture. Mais l’ordre qui se met en place dévore indifféremment ses fidèles et ses ennemis, employant ses hommes de main aux pires tâches avant de s’en débarrasser. L’écrivain se sent un devoir de fidélité envers les victimes, son écriture en témoigne : « Les bourreaux étaient méticuleux, obsédés du secret mais paperassiers, expéditifs mais archivistes ; pour faire comprendre leur façon de procéder (verbe qui ici veut dire tuer, et tuer en masse), il me semble qu’il faut être méticuleux aussi, paperassier jusqu’à un certain point. Indiquer les dates, les grades, les signatures au bas des actes quand on les connaît. Au prix d’une certaine lourdeur parfois. »

Cette lourdeur ne se ressent jamais dans le livre. Olivier Rolin use parfois de l’ironie, se sert des parenthèses ou des digressions pour mettre en relief le ridicule de certains, cerner des figures comme celle de Matveïev, « type humain abject qu’on retrouve, identique, dans la Gestapo, les gangs tortionnaires des juntes militaires chilienne ou argentine, ou plus près de nous les sbires de Tripoli ou Damas ». Rolin écrit en enquêteur, multipliant les questions ; il exprime le doute, traduit l’incertitude. Et puis il écrit en homme de ce siècle et du précédent, qui a cru en une espérance et qu’une infinie mélancolie a pris. Des écrivains sont proches de lui (ou bien très éloignés). Parler de la Russie, c’est nommer Vassili Grossman et son Tout passe, Gustaw Herling-Grudziński et Un monde à part, Julius Margolin et son Voyage au pays des Ze-Ka. Gide aussi, qui contrairement à Édouard Herriot et aux hommes politiques, n’a pas été dupe des mensonges de Staline. Olivier Rolin déplore (avec un soupçon d’humour) la naïveté de Gorki visitant les Solovki. Il est moins indulgent, et on le comprend, avec Aragon, plus attristé par les positions de Sartre dont il refuse, cependant, à cinquante ans de distance, de se faire le procureur.

Comme beaucoup d’excellents livres d’aujourd’hui (on songe ici à Viva de Patrick Deville), Le Météorologue mêle les genres, et pose aussi beaucoup de questions sur l’indifférence des contemporains à l’égard de ces crimes, et d’abord à l’égard de visages. Dans de très belles pages finales, il décrit ceux des hommes et femmes arrêtés et photographiés peu avant leur exécution. Quelques lignes[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Norbert CZARNY. LE MÉTÉOROLOGUE (O. Rolin) - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 21/11/2014