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FEIFFER JULES (1929- )

C'est à New York, sa ville natale, que Jules Feiffer (né en 1929) suit les cours de l'Art Students League et du Pratt Institute. De 1949 à 1951, il publie chaque semaine dans les suppléments illustrés de la presse dominicale une planche intitulée Clifford. Puis il passe deux ans dans l'armée, où il réalise des dessins animés pour le corps des transmissions.

En 1956, il fait son entrée à l'hebdomadaire intellectuel new-yorkais The Village Voice, qu'il ne quittera plus. Les premiers dessins réalisés pour ce journal, entre 1956 et 1961, feront l'objet de deux recueils : Sick, Sick, Sick (1958) et Boy Girl, Boy Girl (1961). Entre ces deux séries, il fait paraître Passionella and Other Stories (1959), qui comprend une version moderne de Cendrillon dans laquelle l'héroïne, une ramoneuse, rêve de devenir une star ; Munro, le cauchemar d'un enfant de quatre ans enrôlé de force dans l'armée ; George's Moon, le monologue d'un homme qui vit seul sur la Lune et qui, après avoir longtemps espéré l'arrivée d'autres hommes, en vient à se préparer à les combattre comme des ennemis ; enfin Boom !, une suite d'accidents nucléaires toujours suivis d'explications rassurantes, et qui se terminent néanmoins par l'explosion finale.

Ces quatre histoires résument les grands conflits de notre époque tels qu'ils se reflètent dans l'individu : la frustration et sa contrepartie, le désir de ressembler aux modèles de réussite proposés par la société, l'isolement individuel associé contradictoirement à la recherche du contact avec autrui ; enfin la hantise de la destruction collective. C'est autour de ces thèmes que s'organisent explicitement ou implicitement les comportements des personnages de Feiffer. Ces situations négatives induisent de nouveaux stéréotypes, mais contrairement à ceux qui caractérisent le comportement du conformiste, lesquels reposent sur un « héritage », les nouveaux stéréotypes sont de nature antagoniste. Chaque personnage confond le dénigrement de soi et la lucidité, et se prive ainsi de toute possibilité d'accomplissement. Ce dénigrement débouche sur l'échec, et ce dernier est suivi d'une autojustification par transfert de responsabilité sur autrui ou sur le « monde ». En ramassant en une seule planche les différentes phases de ce processus mental, Feiffer tire des effets comiques irrésistibles. Il nous fait assister à une sorte de chorégraphie psychique. Il fait d'ailleurs souvent appel à l'image d'une danseuse pour représenter ces états d'âme. La première apparition de ce personnage est très significative : il annonce La Danse du printemps, fait quelques contorsions et se retire sous une chute de neige. Le lecteur est partagé entre deux interprétations : soit la danseuse ne s'est pas rendu compte du passage des saisons, soit elle s'est méprise sur la nature de son inspiration, plus propice à l'expression du déclin qu'à celle du renouveau.

Quand Feiffer consent à mettre un personnage en mouvement, c'est pour en faire le support d'une vaine gesticulation qui se termine par un « à quoi bon ? ». Chacune des courtes narrations qu'il propose est « un coup pour rien » et justifie l'immobilité de ses personnages. Feiffer affecte d'ailleurs un certain mépris pour l'habileté graphique. Souvent, l'image répétée sans modification des protagonistes n'est qu'un pivot autour duquel s'enroule une parole qui, réplique après réplique, ligote ceux qui l'énoncent puis les assassine. Il nous fait assister à une autodestruction liée au fait que chacun des personnages a peu à peu supprimé l'acteur en lui au profit d'un spectateur qui substitue en permanence l'énoncé de l'action à l'action elle-même.

C'est[...]

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Pour citer cet article

Marc THIVOLET. FEIFFER JULES (1929- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BRETÉCHER CLAIRE (1940-2020)

    • Écrit par Nelly FEUERHAHN
    • 1 097 mots
    • 1 média

    Dans un monde dominé par les créateurs masculins, Claire Bretécher dessine d’abord pour la presse jeunesse et participe à partir des années 1960 à ses transformations majeures. Elle introduit des personnages comiques, surtout féminins, totalement inédits, loin des habituels héros de papier faire-valoir...

Voir aussi