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GASSIER HENRI-PAUL (1883-1951)

L'activité de caricaturiste de H.-P. Gassier coïncide, paradoxalement, avec la perte de l'influence de la caricature dans la presse du xxe siècle. Bien qu'il ait commencé sa carrière de dessinateur à l'Humanité alors que Jean Jaurès en était encore le directeur, son talent ne trouve vraiment l'occasion de s'épanouir qu'après le conflit de 1914-1918. Or c'est précisément à cette époque que la caricature cesse d'exercer une action politique efficace. Jusque-là, elle menait une existence presque autonome. Certains journaux n'avaient pour raison d'être que le portrait-charge ou la caricature de mœurs. La presse du xixe siècle poursuivait, avec des moyens accrus, l'œuvre des colporteurs d'estampes et des publications du xviiie siècle. Or c'est la presse écrite qui, à partir de 1918, supplante définitivement l'image — celle-ci ne conservant qu'un rôle accessoire. Et c'est Gassier qui, d'une certaine manière, crée le style de la nouvelle caricature, diminuée dans ses prérogatives — style qui influencera d'autres dessinateurs dont le plus célèbre est sans conteste Sennep.

C'est surtout au Canard enchaîné, à l'Humanité (jusqu'en 1924, date de l'élimination des éléments « trotskistes »), au Populaire et à l'Œuvre que Gassier confie ses dessins. Le premier de ces organes crée dans la presse un esprit particulier : il accuse, par ses révélations, la contradiction qui existe entre la représentation que les personnalités publiques et les institutions donnent de leurs actes et les motivations parfois inavouables qui les guident. Le dessin de Gassier s'inscrit dans ce contexte. Par rapport aux caricaturistes qui l'ont précédé, sa manière se distingue par la perte de la dimension tragique, voire épique, de l'événement. Cette perte de dimension est évidemment en partie liée à la place limitée réservée à l'image ; elle tient également aux affrontements moins violents, moins fréquents entre les forces politiques (la IIIe République paraît bien assise, tout au moins jusqu'en février 1934).

L'homme politique, dans le dessin de Gassier, ne prend plus, comme dans les « charges » d'un Gill ou d'un Léandre, des proportions monstrueuses. Il apparaît, bien au contraire, comme un être « mal grandi », s'amusant à des jeux qui s'apparentent à ceux des enfants. Il arrive à Gassier de représenter une séance du Conseil des ministres comme la scène désordonnée d'une nursery, chacun des participants manipulant un jouet, symbole de sa spécialité, qui un petit canon, qui un tambour... Le trait se ressent des dimensions réduites du dessin ; son cheminement est d'une extrême nervosité, comme parcouru par une secrète hésitation. Le monde politique apparaît moins menaçant que diminué par cet exercice de réduction. L'aboutissement de la carrière de l'homme politique selon Gassier semble être le produit d'un passage sans transition de l'âge enfantin à celui de la vieillesse.

Alors que les caricaturistes du xixe siècle soulignaient à l'envi le caractère plutôt effrayant de leur modèle, Gassier agit en « réducteur » de têtes. Il est passé maître dans l'utilisation de l'espace pourtant limité réservé aux dessins. Il paraît se jouer des obstacles que lui oppose l'étroitesse de la surface disponible par une capacité exceptionnelle d'animer ses petits tableaux. Il unit un sens très aigu du portrait-charge à un talent certain de metteur en scène.

Gassier est le représentant « de gauche » de la tendance graphique qu'il a créée ; Sennep est sa contrepartie, d'ailleurs également talentueuse, « de droite ». Leurs styles sont si proches et leurs positions politiques si opposées qu'un éditeur leur donna l'occasion de faire œuvre commune[...]

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Pour citer cet article

Marc THIVOLET. GASSIER HENRI-PAUL (1883-1951) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CARICATURE

    • Écrit par Marc THIVOLET
    • 8 333 mots
    • 8 médias
    ...affaires internationales, l'affaire Stavisky, le Front populaire, les Croix de feu permirent aux caricaturistes de mener leurs ultimes combats. H. P. Gassier, pour la gauche, et Sennep, pour la droite, furent les derniers caricaturistes au sens étroit du mot. Le Canard enchaîné publiait les œuvres...

Voir aussi