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KANTOROWICZ ERNST (1895-1963)

Nouvelle patrie d'érudition

Le climat politique oppressant le pousse à accepter une invitation du New College de l'université d'Oxford, où il se rend de la fin janvier à la mi-juillet 1934, pour travailler sur différents thèmes, qui seront pour certains d'entre eux publiés (Petrus de Vinea en Angleterre) ou repris par la suite (chapitres de son livre sur les Laudes regiae). En octobre 1934, il démissionne de son poste à Francfort pour ne pas prêter le serment de fidélité au Führer. Malgré la détérioration de la situation et l'adoption des lois antisémites, Kantorowicz est réticent à l'idée de quitter l'Allemagne et ce n'est qu'après la Nuit de cristal, du 9 au 10 novembre 1938, qu'il choisit de fuir plutôt que de se cacher, d'abord à Oxford, puis à New York et de là à Berkeley, en Californie, où la célèbre université lui avait offert une chaire d'histoire médiévale. S'ouvre alors pour lui une période de labeur intense mais serein, si bien qu'à la fin de la guerre, en dépit d'une invitation avec tous les honneurs, il décide de ne pas retourner à Francfort.

Pendant les douze années qu'il passe en Californie, il se lie à de nombreux savants, parmi lesquels le juriste et essayiste Max Radin, et forme de brillants élèves. Il publie les Laudes regiae, une monographie sur la liturgie royale au Moyen Âge. Il écrit aussi une série d'articles denses et vigoureux dont les célèbres Pro Patria mori (Mourir pour la patrie) et Christus-fiscus. Mais l'ère du maccarthysme met brutalement fin à ce climat de libre recherche. En avril 1950, les personnels attachés à l'université de Californie furent priés de témoigner de leur anticommunisme par un « serment de loyauté », condition indispensable pour conserver leur poste. Kantorowicz, se souvenant du précédent nazi, refusa à nouveau catégoriquement de prêter serment et écrivit un vibrant pamphlet contre cette mesure, The Fundamental Issue, qu'il fit publier à ses frais en mai 1950.

Cette expérience californienne terminée, Kantorowicz, après un bref passage au fameux centre d'études byzantines de Dumbarton Oaks à Washington, s'installe définitivement à l'université de Princeton. En 1957 est publié son ouvrage sans doute le plus important, Les Deux Corps du roi, aboutissement de recherches commencées un quart de siècle plus tôt, axées sur les rapports entre le corps naturel et le corps politique du roi, et la constitution de ce dernier. Dans les années précédant sa mort brutale à Princeton, le 9 septembre 1963, il publie encore une série de courtes études d'une érudition extrême, dont Mystères de l'État et Le Lever du Roi.

Ernst Kantorowicz s'est distingué, en tant que chercheur, de la plupart de ses collègues par sa capacité à scruter en profondeur le temps et l'espace, en tirant profit de sources d'origine à première vue disparates et jamais confrontées avant lui, puisant à la fois dans les écrits théologiques et juridiques, dans le matériel iconographique, dans les œuvres politiques et littéraires. Il sut ainsi produire des études sophistiquées et subtiles, d'une érudition et d'une profondeur exceptionnelles, dont la nouveauté des résultats et la solidité des arguments sont encore aujourd'hui étudiés et commentés. En tant qu'homme, il fut un esprit libre qui n'hésita pas à se battre pour ses idées : il eut à cœur le concept d'humanitas, duquel il ne voulut jamais se départir, et conserva au plus haut le sens de la dignité de l'enseignement et de la recherche.

— Paola MAFFEI

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Écrit par

  • : chercheur d'histoire du droit médiéval et moderne à l'iniversité de Sienne, faculté de droit

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Pour citer cet article

Paola MAFFEI. KANTOROWICZ ERNST (1895-1963) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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