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ESTAUNIÉ ÉDOUARD (1862-1942)

Après quelques œuvres, pleines de talent, qui le situent dans la lignée d'un Maupassant (Un simple, 1891 ; Bonne Dame, 1891), Estaunié abandonne le naturalisme pour se laisser aller tout entier à la vérité qui vient de s'imposer à lui avec force : l'essentiel est ce que l'on ne voit pas, ce que l'on ne dit pas. Dès La Vie secrète (1908), il va s'attacher à deviner ce qui se cache, sous les apparences les plus sereines, de drame insoupçonné. Dans ce roman, où une table de whist réunit de paisibles bourgeois, tout à coup la tragédie éclate. Chacun des partenaires, en effet, mène une « vie secrète » qui n'attend qu'une occasion pour bouleverser les conventions et éclater au grand jour. Il va de soi que la province, bien mieux que la ville, permet d'observer les agissements obscurs des personnages. Estaunié l'a compris et a pratiquement situé tous ses récits en province, particulièrement en cette Bourgogne à laquelle il est profondément attaché ; ce qui lui valut le surnom de « romancier de la province », à une époque où l'on s'imaginait que le roman ne pouvait guère avoir d'autre cadre que Paris. Convaincu que ce qui importe dans nos relations avec les autres, ce sont nos silences, le « poète du silence », comme l'appelle André Bellessort, les capte tous, du plus inoffensif au plus mortel. Tous ont en commun l'impossibilité où nous nous trouvons de communiquer avec nos semblables. C'est du silence qu'est née la plus déchirante des souffrances, la solitude. Estaunié a réuni en un volume trois nouvelles qui lui sont consacrées. Mais Solitudes (1922) est un titre qui pourrait s'appliquer à la plupart de ses romans de la maturité. Que ce soit dans Les choses voient (1913), dans L'Appel de la route (1923), dans L'Ascension de M. Baslèvre (1919), partout la solitude exerce sa cruelle domination. S'interdisant de conclure, le romancier suggère cependant qu'il n'existe qu'un seul remède : l'oubli de soi. S'ils n'arrivent pas tous à la joie d'un M. Baslèvre, ses personnages, que ce soit le héros de L'Infirme aux mains de lumière (1924), ceux des Choses voient, de L'Appel de la route ou déjà de La Vie secrète, n'atteignent à l'apaisement que dans la mesure même de leur propre abnégation.

Estaunié possède au service de son propos un style d'une grande pureté classique, mais dont l'austérité voulue peut rebuter au premier contact. Cette ascèse de l'écriture est d'autant plus remarquable que, dans sa première manière, l'auteur avait connu des réussites qui, avec L'Empreinte (1895), roman condamnant les méthodes pédagogiques des Jésuites, avaient atteint le plus éclatant succès.

— Robert LOUIS

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Robert LOUIS. ESTAUNIÉ ÉDOUARD (1862-1942) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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