CONTE D'AUTOMNE (É. Rohmer)
Par définition, la série des « Contes des quatre saisons », inaugurée en 1990 avec Conte de printemps, nous parle de contes et de saisons, c'est-à-dire de chimères et du temps qui s'écoule, éléments déjà présents dans les précédentes séries de l'œuvre de Rohmer. On pourrait, à tort, n'y voir qu'une simple continuité. Ainsi les héroïnes du dernier film de la série, Conte d'automne (1998), reproduiraient, à leur manière, le comportement de « mauvaise foi » des narrateurs des « Contes moraux ». Ceux-ci justifiaient un manquement à une conduite morale annoncée par un sursaut décisif, héroïque à leurs yeux. Ici, Isabelle (Marie Rivière), libraire, se propose comme appât dans une chasse à l'homme qu'elle légitime par le désir désintéressé de rendre service à son amie viticultrice, Magali (Béatrice Romand) : elle publie, contre l'avis de cette dernière, une petite annonce pour recruter l'homme idéal supposé combler l'attente de son amie. Supposé parce que, dans son esprit, une femme de son âge ne saurait se passer d'homme – dans Le Rayon vert, c'est Béatrice (Romand) qui ne pouvait admettre que Delphine (Marie Rivière) restât seule. Mais d'autant plus supposé que les raisons qu'avance Magali pour ne pas chercher d'homme – manque de temps, mépris pour ceux qui répondent à de telles annonces – lui semblent peu crédibles. On devine la tentatrice elle-même tentée, sinon par la proie, Gérald (Alain Libolt), du moins par l'aventure.
Reprenant sous une forme inversée le personnage de Sabine déjà interprété par Béatrice Romand dans Le Beau Mariage, Magali reconnaît qu'elle souhaite, elle aussi, se marier. À la différence de Sabine, elle ne croit pas en son pouvoir de séduction, invoquant surtout l'âge : les hommes « préfèrent les petites jeunes. Et puis ils sont tous pris ». Là où l'héroïne du Beau Mariage comme de l'ensemble des « Comédies et proverbes », déployait une image d'elle-même qu'elle voulait positive, Magali ressent bien « le besoin de rencontrer un homme », mais « ne veut rien faire pour cela ». Sa vigne produit deux fois moins que les autres, mais elle s'en moque, elle veut un vin qui vieillit bien. Ce qu'elle décrit d'abord comme une méthode de culture biologique – « l'herbicide, ça gâte le goût du vin » – se révèle tout autant relatif à sa manière de vivre, aussi ébouriffée que sa chevelure : « J'aurais dû biner davantage... Mais qu'est-ce que tu veux, on ne peut pas tout faire. » Revient alors le principe de dénégation cher aux héros des « Contes moraux » : Magali y trouve un avantage, la petite roquette qui pousse parmi les herbes folles et que l'on peut mélanger à la salade, « c'est divin ! ».
À la différence des séries antérieures de Rohmer, la représentation imaginaire issue du désir des principaux protagonistes des « Contes des quatre saisons » prend corps : la certitude de Félicie (Conte d'hiver) quant au retour de Charles se réalise. Dans Conte de printemps, la machination supposée de Natacha pour jeter sa nouvelle amie dans les bras de son père échoue, mais elle a semé le trouble dans la vie sentimentale ordonnée de Jeanne. Celle-ci n'a-t-elle pas trouvé son compte dans cette manipulation, réelle ou supposée ? Quant au jeune héros de Conte d'été, il fait des manipulations multiples qu'il subit un art de vivre. Conte d'automne, lui, repose sur un double suspense : la machination d'Isabelle pour réunir Magali et Gérald réussira-t-elle ? Et comment le couple réagira-t-il ? Contre toute attente, Gérald entre dans le jeu d'Isabelle lorsqu'elle lui révèle sa duperie et Magali se montre plus irritée d'une relation supposée entre Gérald et son amie que des manigances de celle-ci.[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
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