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PILNIAK BORIS (1894-1937)

Pilniak a fait dans la littérature soviétique une entrée fulgurante en 1922 avec son fameux livre L'Année nue. Sa gloire était plus grande alors que celle de Babel. Il a été adulé, imité puis, à partir de 1929, vilipendé, contraint, après le scandale de la parution à l'étranger d'Acajou, à une des premières autocritiques dégradantes.

On peut dire de lui qu'il a vraiment créé un genre nouveau : le roman en vrac où les matériaux issus de la vie sont donnés sans liaison, juxtaposés. L'univers pilniakien est chaotique, apsychologique : vie réduite à une énumération d'actes tels que cris, meurtres, travail, coïts... Tout l'art de Pilniak consiste, comme dans le cinéma de son époque, en un montage de matériaux épars. Souvent les mêmes matériaux réapparaissent d'une œuvre à l'autre, ce qui a permis à Michel Heller de procéder, à partir de la traduction polonaise, à la reconstitution d'un original perdu de Pilniak : le roman Les Doubles.

L'univers des forces élémentaires

Boris Andreevič Vogau dit Pilniak naquit à Mojaïsk (au sud de Moscou). Son père était un Allemand de la Volga, vétérinaire de son métier. Pilniak se consacra à la littérature dès 1915. Il voyagea beaucoup, et fut en quelque sorte pendant les années vingt, l'ambassadeur des lettres soviétiques en Allemagne, en Angleterre (comme Zamiatine), puis au Japon, aux États-Unis d'Amérique... Il menait grande vie à Moscou. Son Année nue (Golyj god, 1922) l'avait rendu célèbre, mais dès 1926 il fut en butte à des attaques pour avoir écrit Le Conte de la lune non éteinte (Povest' nepogašennoj luny), qui suggère que le commissaire Frouzé fut liquidé par le parti au cours d'une intervention chirurgicale qu'on lui avait imposée. À cette époque, et pour des raisons de copyright, les écrivains soviétiques publiaient souvent leurs livres simultanément à Moscou et à Berlin. Acajou (Krasnoe derevo) parut en 1929 à Berlin alors que la censure l'avait interdit à Moscou. Ce fut l'origine de la grande attaque menée en 1929 contre Pilniak et contre Zamiatine. Ce dernier émigra, Pilniak confessa ses erreurs et se réhabilita en écrivant un roman à la gloire de l'industrialisation socialiste : La Volga se jette dans la Caspienne (Volga vpadaet v Kaspijskoe more, 1930). En 1933 parut une satire anti-américaine : OK ! En 1937, Pilniak fut arrêté et périt bientôt dans un camp de déportés. R. V. Ivanov-Razumnik rapporte qu'il aurait été accusé d'être un espion japonais.

Pour Pilniak, le chaos du donné immédiat s'ordonne en fonction des grandes métaphores qui régissent tout le livre ; la métaphore qui domine l'ensemble est celle du retour à l'âge scythe, c'est-à-dire barbare, de la Russie. La révolution bolchevique est pour l'écrivain un retour à la barbarie, à la violence de la horde populaire. Un torrent de sang, de sueur et de brutalité agite le fond du pays, tandis que la croûte, c'est-à-dire les villes, craque sinistrement. Ainsi il y a le Pilniak qui morcelle la réalité au point de la rendre méconnaissable, collectionnant les bribes de journaux, d'affiches, de chroniques anciennes, de mots dialectaux déformés ; et puis, à l'étape du collage des matériaux, il y a le Pilniak poète, créateur de mythes, et qui sous le bolchevik « en tunique de cuir » voit resurgir le moujik violent d'avant Pierre le Grand. Pilniak était au fond plus bolchevik que prolétarien. La lutte des classes ne l'intéresse pas, mais il salue les nouveaux organisateurs, issus du chaos, et, dans le chaos, « allègres et rieurs ». De lui Trotski écrit dans Littérature et révolution : « Il accepte la révolution parce qu'elle est nationale, et elle est nationale parce qu'elle renverse Pierre le Grand et ressuscite le xviie siècle.[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Genève, recteur de l'université internationale Lomonosov à Genève, président des Rencontres internationales de Genève

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