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AMALRIK ANDREI (1938-1980)

Andrei Alexeïevitch Amalrik est né à Moscou en 1938 dans une famille d'intellectuels d'origine française. Fils d'historien, il se tourne aussi vers l'histoire et, à travers elle, découvre ce qui, dans le système soviétique, lui est intolérable. À des études secondaires moyennes ont succédé de brillantes études à l'université de Moscou, qui s'achèvent par la présentation d'un mémoire sur les origines de l'État russe : Les Normands et la Russie de Kiev. L'historien Amalrik y soutient que les Normands ont joué un rôle majeur dans l'édification de la Russie kiévienne, première étape de l'État russe. Cette thèse va à l'encontre de la conception officielle de l'historiographie soviétique, selon laquelle les Slaves sont à l'origine de la Russie, ayant édifié dès le vie siècle un État qui, à l'arrivée des Normands, brillait déjà d'un éclat comparable à celui de l'État carolingien. En U.R.S.S., l'histoire est une discipline particulièrement surveillée puisqu'elle renforce l'idéologie et forge la conscience sociale. À soutenir une thèse aussi hétérodoxe, Amalrik ne pouvait échapper à la sanction qui frappe immanquablement ceux qui « provoquent » le système dans sa cohérence et son mode de légitimation. Il est exclu de l'université, contraint pour vivre d'exercer toutes sortes d'activités, du travail manuel aux traductions et aux leçons particulières. En même temps, il poursuit un travail créateur, écrivant des pièces que nul ne peut songer à publier. Dès cette époque aussi il entre en contact avec des intellectuels étrangers.

Pressé par le K.G.B. de fournir des informations sur eux, clamant ouvertement son opposition au régime, Amalrik est arrêté une première fois en 1965. Ses pièces, que le K.G.B. juge « antisoviétiques » et « pornographiques », servent de prétexte à une condamnation à deux ans et demi d'exil en Sibérie. Libéré, il est arrêté de nouveau en 1970, condamné à trois ans de détention pour avoir « diffamé l'État soviétique », puis interdit de séjour à Moscou où vit sa femme. En dépit d'une santé que la réclusion à la Kolyma a considérablement ébranlée, en dépit des persécutions constantes du K.G.B., Amalrik n'a pas cessé un instant de manifester son opposition, de développer sa réflexion sur l'U.R.S.S. dans deux ouvrages fondamentaux : Voyage involontaire en Sibérie et L'U.R.S.S. survivra-t-elle en 1984 ? En 1976, il est contraint à l'exil et s'installe aux Pays-Bas, puis en France. En exil, il reste aussi actif qu'il l'a été dans son pays, s'efforçant de mobiliser les dirigeants et l'opinion du monde occidental contre les illusions de la « détente », utilisée par l'U.R.S.S. pour assoupir la méfiance de ses futures victimes. En 1980, il se rend à la conférence de Madrid pour rappeler aux signataires des accords d'Helsinki qu'ils doivent imposer à l'U.R.S.S. le respect de ces accords et non se soumettre à la volonté soviétique. Sa mort, sur la route de Madrid, est à l'image de sa vie entière, une mort de combattant contre un système irrationnel, aveugle, qui ignore l'homme et ses droits. Ses œuvres sont tout entières issues de ce combat. Le Voyage involontaire en Sibérie (Gallimard, Paris, 1970), récit de son expérience d'homme de peine dans un kolkhoz, est une remarquable analyse de la campagne russe, de son retard, de la difficile vie quotidienne dans la société rurale, des causes profondes des échecs économiques soviétiques. Témoignage direct, étude de sociologie rurale, réflexion politique, ce livre est tout cela en même temps. On comprend à le lire qu'il était impubliable en U.R.S.S.

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Tout aussi impubliable est son œuvre maîtresse : L'U.R.S.S. survivra-t-elle en 1984 ? (Fayard, Paris, 1970). Cet essai écrit en 1969, Amalrik l'a directement adressé à un éditeur occidental, car c'est à l'Occident qu'il parle avant tout, souhaitant lui faire comprendre la réalité du système soviétique et son évolution future.

L'ouvrage comporte en effet deux parties distinctes : la première consacrée à la réalité soviétique montre que, en dépit des changements survenus après la mort de Staline, le système ne peut évoluer dans une direction libéralisante pour des raisons historiques et sociologiques ; parce que, aussi, la conscience sociale russe imprégnée des idées de force et de justice est, par là même, fermée aux idées démocratiques fondées sur l'individualisme. Loin de se libéraliser, le régime soviétique s'enfonce dans un conservatisme stérile qui le condamne à terme et le place sous la menace d'explosions populaires auprès desquelles « les horreurs des révolutions russes de 1905-1907 et de 1917-1920 paraîtront des tableaux tout simplement idylliques ».

Aux menaces internes, Amalrik ajoute dans sa seconde partie une autre dimension, celle d'une Chine dont l'U.R.S.S. ne pourra repousser l'assaut : « Je ne doute pas que le grand empire des Slaves d'Orient, créé par les Germains, les Byzantins et les Mongols, est entré dans les dernières décennies de son existence. De même que l'adoption du christianisme a ajourné la chute de l'Empire romain sans le sauver d'une fin inévitable, de même la doctrine marxiste a retardé le démembrement de l'Empire russe – troisième Rome –, mais elle n'a pas le pouvoir de l'empêcher. »

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Tout se combine ainsi pour annoncer l'inéluctable effondrement du système soviétique : un régime qui se maintient mais dont la décomposition s'accélère, une société apathique dont le développement est anarchique, une opposition « incapable d'élaborer un programme cohérent », des nations qui ressentent l'oppression subie, une Chine menaçante. Les progrès scientifiques et techniques, dont le pouvoir soviétique s'enorgueillit, constituent par leurs contradictions mêmes une menace supplémentaire : l'U.R.S.S. est, en effet, le pays du premier spoutnik, mais « dans le village on ramasse les pommes de terre à la main » et « le niveau de pensée de la majorité des gens ne s'élève pas au-dessus du niveau manuel ». Le Journal d'un provocateur (Seuil, Paris, 1980) est l'histoire mêlée de sa génération et de son pays. D'un livre à l'autre, Amalrik a complété son témoignage, révisé ses idées, allant toujours plus loin dans le sens d'une lucidité croissante et d'un pessimisme absolu. À la fin de sa vie, s'il restait inébranlable dans son analyse des faiblesses du système soviétique, il admettait qu'il avait vu court en assignant un terme rapide à ce système ; qu'une politique extérieure dynamique, agressive, pouvait contribuer à sa prolongation. Individualiste, profondément rationnel, plaçant la liberté au sommet de son système de valeurs, Amalrik était porteur d'un double héritage, celui de la France de ses ancêtres, celui du mouvement libéral faiblement ancré en Russie. À cet égard, il occupa une place originale dans la dissidence soviétique dont il fut une des figures marquantes.

— Hélène CARRERE D'ENCAUSSE

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