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KOZOVOÏ VADIM (1937-1999)

Né en 1937, le poète russe Vadim Kozovoï fut un prisonnier politique dans le goulag de 1957 à 1963, suite de sa participation à un groupe hétérodoxe d'étudiants de la faculté d'Histoire de Moscou. Il garda de cette expérience amère un goût fort pour l'histoire comme matière même de la poésie, et pour la catastrophe comprise comme nourrice des grands textes.

Juif par le sang, Kozovoï avait dû se détacher d'un père marxiste, et se forger par lui-même une force de vivre, une volonté d'ériger le mot à la plus haute responsabilité. Ce qui lui permit d'entamer un dialogue avec René Char, à qui le lia une amitié forte mais non égale, et plus encore avec Henri Michaux, qui lui fit l'honneur d'illustrer son deuxième recueil, Hors de la colline (1984), traduit par Jacques Dupin et Michel Deguy, postfacé par Maurice Blanchot. Une telle attention rendait hommage à la capacité presque chamanique de fascination qu'avait Kozovoï dans son obstination à vouloir dire « le pli mortel » du mot. Maurice Blanchot, dans sa postface, souligne le lien pressenti entre terreur et parole, lien issu des religions archaïques, et reflété dans « la pythie ancienne qui incarne l'horreur propre à tout dire ». Les brisures narratives, les dévastations du champ de la parole que Blanchot pressent à travers la traduction de certains poèmes de Vadim Kozovoï font entrer le poète russe dans la famille étroite des véhéments. Cependant que les termitières brunes où s'avance le cheminement répétitif et inquiétant des micro-organismes de Michaux font diptyque avec ces éclats de paroles qui sont comme des éclats de métal entrés dans la page et qui expulsent à tout jamais le moi. « Je sors » est le mot clé de cette poésie.

L'humour ravageur, dans ces échardes narratives, vient aussi bien d'Alexis Remizov et ses petits contes auto-illustrés que de Henri Michaux lui-même, avec son Plume, sans parler de l'influence des Illuminations de Rimbaud. Les trois recueils de poésie de Kozovoï, le premier Sursis d'orage, puis Hors de la colline, enfin Le Nominal marquent trois parcours mutins et violents, trois initiations à l'esquive et à la cruauté.

Sans les traductions de Dupin et Deguy, on ne saurait rien de ce Kozovoï-là en France. C'est la part la moins connue d'une œuvre qui fut aussi celle d'un passeur de culture entre Russie et France, passeur dont la vocation naquit au goulag, et se confirma dans l'étrange souterrain culturel soviétique des années 1970, lorsque chaque publication d'un fragment de Rimbaud, de Lautréamont, ou de Supervielle était une victoire inouïe. Il en va de même pour le recueil de textes de Paul Valéry sur l'art que Kozovoï réussit à mener à bon port en 1976.

Émigré en 1981, Kozovoï poursuivit son œuvre à Paris, où il ne manqua pas de fréquenter des poètes compagnons, mais aussi des dissidents du marxisme comme Boris Souvarine ou François Fejtö. La revue Est-Ouest fut un de ses refuges. Ce fut aussi le moment de deux grandes incursions tentées dans la texture de la parole : son étude Le Poète dans la catastrophe (1994) qui interroge la poésie de Pasternak, et celle sur le musicologue Souvtchinski, un « eurasien » (du nom du mouvement mi-politique, mi-culturel qui revendiquait pour la Russie une substance et un destin autant asiatiques qu'européens), et, comme lui, un ironiste tragique.

— Georges NIVAT

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Genève, recteur de l'université internationale Lomonosov à Genève, président des Rencontres internationales de Genève

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Pour citer cet article

Georges NIVAT. KOZOVOÏ VADIM (1937-1999) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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