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MAURON CHARLES (1899-1966)

Critique littéraire français, Charles Mauron est né à Saint-Rémy-de-Provence. Il quittera peu cette région. Après des études scientifiques à la faculté de Marseille, il devient assistant de chimie en 1921. Mais la détérioration de sa vue le contraint à se retirer à la campagne et à se convertir à d'autres intérêts. Il s'intéresse d'abord à l'esthétique. Son excellente connaissance de l'anglais le conduit à traduire de nombreux ouvrages, Les Sept Piliers de la sagesse de T. E. Lawrence, Orlando de Virginia Woolf, des textes de D. H. Lawrence, K. Mansfield, Forster ou Fry. Il se lie à des auteurs anglo-saxons et il collabore à leurs revues. Ainsi, pendant les années qui précèdent la guerre, il acquiert une certaine notoriété en Grande-Bretagne alors que les poèmes qu'il publie à Paris ne recueillent qu'un succès assez modeste en dépit de leur beauté (Poèmes en prose, 1930 ; Esquisse pour le tombeau d'un peintre, 1938).

C'est cependant au cours de cette période qu'il met au point la psychocritique, sa contribution principale à la littérature. Dans Mallarmé l'Obscur (1938), il énonce ses premières découvertes ; le livre passera inaperçu jusqu'à la fin de la guerre. Il introduit une nouvelle lecture du texte littéraire auprès de l'histoire et de la linguistique : c'est, selon sa propre définition, « isoler et étudier, dans la trame du texte, des structures exprimant la personnalité inconsciente de l'écrivain ». Pour mener à bien une telle étude, la psychanalyse, dont Mauron s'inspire, dispose de la méthode de l'association libre ; la psychocritique lui substituera la superposition des œuvres comme moyen de repérer le réseau élémentaire de ces structures latentes dans leur unité sous-jacente. Superposant divers poèmes de Mallarmé, il découvre ces métaphores et les « constellations » qu'elles organisent, toutes choses qu'une meilleure biographie du poète confirmera par la suite. Il s'agit là avant tout d'une façon de lire, non de déchiffrer ou d'interpréter. Plus tard, Mauron tentera, à partir de ses observations, d'esquisser le mythe personnel, la figure mythique des auteurs qu'il étudie. Il s'attaque aussi au problème des auteurs de drames et de romans, ce à quoi ne pouvait prêter l'étude Mallarmé ; en superposant les personnages des œuvres fictionnelles d'un même auteur (Racine, Corneille, Hugo, Giraudoux entre autres) à la manière des métaphores d'un même poète, il dégage un réseau cohérent de relations dont l'évolution n'est pas moins suggestive que la persistance. Complètement aveugle depuis 1940, il débute une carrière universitaire et il sera professeur à la faculté d'Aix jusqu'à sa mort. L'Inconscient dans l'œuvre et la vie de Racine (1957) est la première manifestation de grande envergure de la méthode mise au point, qui se montre susceptible d'aller fort loin dans l'exploration du processus créateur ; le livre suscitera une polémique aussi violente qu'aveugle. Des métaphores obsédantes au mythe personnel, sa thèse de doctorat soutenue en 1963, représente le stade le plus achevé de la psychocritique. Il la met également en pratique dans Psychocritique du genre comique (1964) et dans Le Dernier Baudelaire (1966). Sa lecture, qui échappe au pointillisme de la critique thématique, est l'une des tentatives les plus intéressantes pour retrouver, en matière de critique littéraire, certains des acquis les plus essentiels de la psychanalyse.

Mauron fut aussi un ardent militant provençal ; il fonda une association pour l'étude du provençal dans les écoles primaires.

— Antoine COMPAGNON

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université Columbia, États-Unis

Classification

Pour citer cet article

Antoine COMPAGNON. MAURON CHARLES (1899-1966) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • LITTÉRATURE & PSYCHANALYSE

    • Écrit par Jean BELLEMIN-NOEL
    • 7 706 mots
    ...veut-elle distinguer un homme de lettres de n'importe quel personnage ayant laissé des Mémoires ou ayant fait l'objet d'une chronique. Charles Mauron a bien reconnu la vanité et surtout le manque de rigueur de la psychobiographie. Il a fixé pour but à son approche critique de regarder d'abord...

Voir aussi