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RÉQUICHOT BERNARD (1929-1961)

L'œuvre de Bernard Réquichot, qui ne fut reconnue qu'après son suicide le 4 décembre 1961, se compose d'environ cent tableaux (huiles, « papiers choisis », « reliquaires ») et deux cents dessins (encres de Chine, collages), et l'ensemble de ses écrits (Fautus, Journal sans dates, Poèmes) a été publié à Bruxelles en 1973. Réquichot ne jouait pas au solitaire ; il ne jouait jamais, il était ; et il ne connaissait que ce qu'il était. Il s'étonnait chaque matin de « sentir qu'il aurait pu ne pas renaître ». Et, chaque jour, il s'apercevait que « l'état, l'instant ne se retrouvent plus », que « chaque chose seulement une fois nous frappe d'étonnement, un temps plus ou moins long », qu'« aucune nostalgie ne lui rend de pouvoir ». Il adhérait littéralement à l'émotion de l'instant, qui lui était vertige et qu'il ne pouvait jamais faire revivre. C'était un vrai peintre, qui croyait avec fanatisme à la peinture et à la transmission des états qu'elle est faite pour enregistrer ; mais il poussait la lucidité jusqu'à se sentir « trop peintre », « trop emmené par la grâce de la jouissance ». Chacune de ses toiles était pour lui « une plaque sensible aux variations des tensions mentales, plaque sensible où ces tensions se fixent à l'instant de leur passage » : des fulgurances chromatiques, des barres, des nervures, des explosions, des entrecroisements et des jets d'énergie pure. Oui, cela était « abstrait », mais non à la manière des esthètes de l'abstraction qui ne songent qu'à décorer une surface vidée de toute substance humaine. Il criait, il se plaignait, il hurlait, il se dénouait, il s'arrachait, il se lançait, il se rejetait, il se broyait, il s'étalait, il se perdait, il se coinçait, enfin il s'exposait lui-même, ouvert et déchiré, à la toile vierge. La peinture était pour Réquichot une gesticulation consciente des nerfs et de la pensée, une ouverture sur le vif : son expérience intérieure n'est pas sans faire songer à Artaud, à Bataille, à toutes les consciences orageuses qui refusèrent d'embrigader l'esprit dans la ratiocination et la joliesse. Il détruisait parfois certaines toiles : « Mes créations ne sont pas faites pour être vues. À un certain degré de dignité, l'émotion néglige la communication et demande la solitude. Elle fuit le regard ou l'approche des autres ; leur appréciation, leur mépris ou leur éloge sont des intrus qui perturbent et malmènent les rouages, la genèse, la perception, l'inquiétude délicate du mental. »

C'est dans cette « inquiétude délicate du mental » que son œuvre tout entière baigne ; c'est par elle qu'on peut prétendre y accéder, et par nulle autre voie. Peut-être est-ce là le sens occulte de ses Reliquaires, cubes de bois à une seule face ouverte, par laquelle on aperçoit, comme dans une grotte, des stalagtites, des stalagmites de couleurs, des formes hybrides, tout un univers en gestation et qui refuse de voir le jour. L'inquiétude du mental y est captée et s'y accroche.

— Alain JOUFFROY

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Alain JOUFFROY. RÉQUICHOT BERNARD (1929-1961) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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