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DÉPLACEMENT, psychanalyse

Si l'aptitude au déplacement caractérise tout particulièrement l'énergie au niveau de ce que Freud appelle les « processus primaires », c'est-à-dire l'activité psychique inconsciente, il importe de définir le champ où opère le concept, et notamment d'une façon diacritique par rapport à la « condensation ».

Dans les lettres à Fliess, Freud relève trois types de déplacement conduisant à des compromis (Kompromissverschiebung) : « Déplacement par voie associative : hystérie. Déplacement par similarité (conceptuelle) : névrose obsessionnelle, caractéristique du lieu et peut-être aussi de l'époque où s'est produite la défense. Déplacement d'ordre causal : paranoïa. » Le déplacement (Verschiebung) tend par suite à recouvrir ce que Freud nomme au niveau de L'Interprétation des rêves la « déformation » ou plutôt la « transposition » (Enstellung) : cette dernière consiste proprement dans une « ruse » de la représentation inconsciente lui permettant sous un déguisement quelconque de prendre position dans le champ de la conscience.

Mais le déplacement est par ailleurs décrit dans L'Interprétation des rêvescomme un type original de formation inconsciente aboutissant au décentrement du contenu manifeste par rapport au contenu latent. Car « ce qui dans les pensées du rêve est visiblement le contenu essentiel n'a pas du tout besoin d'être représenté dans le rêve ». Autrement dit, il importe non seulement de prêter attention à des mots et images qui « condensent » un matériel aspirant à la représentation, mais de repérer également des effets de masquage touchant des massifs entiers de représentations particulièrement intenses.

De fait, l'on peut dégager deux étapes du processus de déplacement : la première, qui marque une rupture ; la seconde, où s'effectue une création et s'établit un nouvel accord. « Dans le travail du rêve, écrit Freud, se manifeste une puissance psychique qui, d'une part, dépouille des éléments de haute valeur psychique de leur intensité ; et, d'autre part — par le biais de la surdétermination —, crée à partir d'éléments de moindre valeur des éléments d'une valeur plus grande, lesquels parviennent alors dans le contenu du rêve. » On ne saurait par suite mésestimer la portée révolutionnaire du travail de déplacement, puisque celui-ci peut conduire à une réévaluation générale, au « renversement de toutes les valeurs psychiques (Umwertung aller psychischen Werte) ».

Alors donc que la condensation est une catégorie esthétique, puisque l'interprétation ne cesse d'y enrichir de sens l'élément qui s'offre à elle dès la première approche, le déplacement met en évidence l'effet de dénivellement, permettant la naissance de processus cogitatifs « supérieurs » : il s'agit bien assurément d'une catégorie épistémologique.

Cela apparaît avec évidence quand, à la suite de R. Jakobson et de J. Lacan, on oppose la nature métonymique du déplacement à celle métaphorique de la condensation. Dans un cas, le support ne cesse de s'alourdir de significations ; dans l'autre, le « nom » lui-même est perdu, si bien que l'interprétant ne peut en aucune façon se leurrer sur son absence de savoir. Le déplacement nous contraint ainsi d'en appeler à des strates où sédimente l'expérience et desquels il nous offre l'incompréhensible allusion.

S'il importe, certes, ici de distinguer problème historique et systématique, le fait du déplacement oblige à poser la question de la structuration du sujet en terme de constitution d'échos ; mais, par ailleurs, il révèle de façon insistante la nature contradictoire de l'exigence de répétition, puisque celle-ci prend chaque fois naissance ailleurs, ne serait-ce que sur le fil[...]

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Pour citer cet article

Baldine SAINT GIRONS. DÉPLACEMENT, psychanalyse [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CONDENSATION, psychanalyse

    • Écrit par Baldine SAINT GIRONS
    • 654 mots

    Formation caractéristique de l'inconscient, la condensation résulte d'un travail de « compression », dont Freud dit qu'il est essentiellement différent d'un simple résumé. Mise en évidence dans le rêve, la condensation devient, dans l'analyse du mot d'esprit, «...

  • INCONSCIENT

    • Écrit par Christian DEROUESNE, Hélène OPPENHEIM-GLUCKMAN, François ROUSTANG
    • 8 283 mots
    • 2 médias
    ...une partie d'eux-mêmes ; ou encore un mot, soit connu dans une langue donnée, soit forgé artificiellement, tient la place d'une ou plusieurs phrases. Le déplacement est le procédé par lequel un trait secondaire ou un détail insignifiant dans le récit du rêve acquiert dans l'interprétation une valeur centrale...
  • L'INTERPRÉTATION DES RÊVES, Sigmund Freud - Fiche de lecture

    • Écrit par Alain VANIER
    • 863 mots
    ...nécessaire à cause de la censure. En effet, les déformations sont nécessaires pour produire, à partir d'un contenu latent, le contenu manifeste du rêve. Ces mécanismes sont principalement la condensation et le déplacement. Ce travail du rêve est identique à l'activité psychique des névroses. Un même élément...
  • LACAN JACQUES (1901-1981)

    • Écrit par Patrick GUYOMARD
    • 6 797 mots
    ...qui définissent ses formations, issues de ce que Freud appelait le processus primaire, dans le champ du langage qui est le leur. La condensation et le déplacement sont assimilables à la métaphore et à la métonymie, dans les deux axes syntagmatique et paradigmatique du langage. La condensation est une...
  • Afficher les 10 références

Voir aussi