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SEGHERS PIERRE (1906-1987)

Le nom de Pierre Seghers ne saurait déjà échapper à tous ceux qui, de quelque manière, s'intéressent à l'histoire de la poésie française vers le milieu de ce siècle. Longtemps en effet l'activité la plus notoire de Pierre Seghers a été celle d'un éditeur, et d'un éditeur de poèmes. Né en 1906 dans une famille d'artisans originaire du Nord, il passe principalement dans le Midi ses années de jeunesse, y exerçant divers métiers. Mobilisé, il fonde la revue P.C. (Poètes casqués), à laquelle succédera Poésie, dont les millésimes de 41 à 45 évoquent à la fois les années sombres et l'espoir de clarté que les poètes y maintiennent, pour qui cette revue devient phare, tribune, lieu d'asile et de conspiration. Parallèlement, Seghers commence à éditer des recueils : de Frénaud, Aragon, Eluard, Tardieu et maints autres. Après la guerre, il orientera davantage son travail d'éditeur vers une vulgarisation utile et intelligente (notamment à travers des collections de monographies d'écrivains français ou étrangers), sans négliger les jeunes qu'il accueillera au contraire dans une profuse série de plaquettes, certes un peu « table d'hôte », mais où plus d'un poète dont le nom est maintenant familier a fait ses premiers pas. Tout ce temps, pour n'être pas ignorée, l'existence d'un poète appelé Pierre Seghers a été le plus souvent regardée comme secondaire, voire négligeable, à quoi ne pouvait que contribuer la discrétion de l'auteur. Injustice tardivement réparée, en 1978, par la publication d'un volume (Le Temps des merveilles) rassemblant une œuvre poétique dispersée pendant quarante ans dans les revues et divers petits recueils. Il s'agit pourtant bien d'une œuvre, dont l'unité et la solidité incitent à supposer quelque vertu transmise par un grand-père qui sculptait des chaires d'église et par un père d'abord menuisier. Retenant du surréalisme les leçons de liberté dans la métaphore, avec sa langue d'une clarté vigoureuse, sa métrique souple et sensible où — de l'alexandrin au verset ou aux rythmes légers de la chanson — l'héritage du vers français fructifie, Pierre Seghers délivre un lyrisme (tour à tour amoureux, engagé, familier, intime, épique) d'une rare diversité de thèmes et de nuances, et qui n'est pas sans correspondances même formelles avec l'art sans doute plus brillant d'Aragon. Mais le chant y revêt parfois cette ampleur qu'on admire par exemple chez le grand poète grec Ritsos, et la simplicité juste et chaleureuse du ton fait de cette œuvre, indépendante des groupes et des théories, l'expression la plus achevée de ce dont rêvèrent les amis de l'école de Rochefort : une poésie de l'homme pour les hommes, aussi immédiatement partageable que le malheur, l'amour et le pain.

— Jacques RÉDA

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Jacques RÉDA. SEGHERS PIERRE (1906-1987) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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