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GASPAR LORAND (1925-2019)

L'œuvre de Lorand Gaspar n'est pas séparable d'un itinéraire singulier qu'il racontera en 1982 dans un texte autobiographique en préface à une anthologie de ses textes rassemblés autour de Sol absolu. D'origine hongroise, il naît le 28 février 1925 à Tărgu Mureş, en Transylvanie orientale, dans une région qui sera rattachée par la suite à la Roumanie. Après des études à l'École polytechnique de Budapest, en 1943, il est déporté en 1944 en Allemagne dans un camp de travail, dont il s'évade en mars 1945 pour rejoindre Paris où il poursuivra des études de médecine. Devenu chirurgien, il exerce tout d'abord son art aux hôpitaux français de Jérusalem et de Bethléem de 1954 à 1970, puis, de 1970 à 1995, à l'hôpital Charles-Nicolle de Tunis. En 1966 paraît son premier recueil de poèmes : Le Quatrième État de la matière, bientôt suivi de Gisements (1968). Déjà les paysages pierreux dévorés de lumière, inquiétants et désirés, hantent les vocables et les corps. Mêlant longs poèmes lyriques et proses où s'exerce un goût acéré de l'observation, Sol absolu (1972), organisé autour de références bibliques, explore sous nombre de ses aspects la vie cachée du désert qui grouille sous les apparences du vide le plus pur. Expérience du silence (« le centre serré du silence »), de la lumière, de la vie dépouillée de ses faux-semblants, l'épreuve du désert reconduit à la nudité et à la précarité des plus simples traces. Elle reconduit aussi à soi. Rien de mystique dans cette quête de soi et ce goût du retrait, plutôt un sens aiguisé de la vie sous toutes ses formes. « La même nudité de la vie / une seule / respiration » (Sol absolu). L'acte poétique est contemporain d'un effort en vue de plus de clarté.

Dans un essai paru en 1978, Approche de la parole, conjuguant savoirs scientifiques, méditations sur la langue et sur la poésie, Lorand Gaspar s'efforce de montrer comment le poème prend source et respiration au plus profond de la matière biologique. Les mécanismes à l'origine de l'organisation de la matière vivante sont comparables à ceux qui régissent le surgissement du poème : une liberté cherche à se frayer un chemin et à inscrire « l'ordre improbable » de ses traces éphémères à travers la compacité d'une matière ouverte au devenir.

La prose de Lorand Gaspar est toujours comme travaillée par ce qui la transformera en poème. Celui-ci n'est pas simple enchantement lyrique du monde, il se veut prolongement en profondeur, creusement, approche d'une unique réalité en attente du mot juste. « Sans cesse la vie défait et refait le jeu de son tissage de signes. Elle est grève mouvante où apparaît et s'effondre le monde, elle est ardeur à vivre et corrosion de ses limites, aux approches de ce qui la consume. » Les Journaux de voyage (1985, réédités et augmentés de trois nouveaux récits sous le titre Arabie heureuse, en 1997), les Feuilles d'observations, en 1986, le Carnet de Patmos, en 1991, les Carnets de Jérusalem, en 1997, constituent un journal dont les feuilles éparses sont comme les lieux privilégiés d'un recueillement où se disent « les jours d'une vie / la politesse du hasard / à l'instant précis ». Sous l'œil scrutateur du chirurgien aux gestes empreints de précision, les notations les plus fugaces, les moindres détails, se métamorphosent en paroles d'une grande élégance. Le souffle qui lie et délie corps et âme, pensée et langage, chair et monde est ce qui anime l'écriture, sa passion sobre mais décidée. Ses poèmes, Amandiers (1980), Égée suivi de Judée (1980), Genèse (1981), Sefar (1983), Patmos (1991), La Maison près de la mer (1992) ou Derrière le dos de Dieu (2010) témoignent tous d'une même attention à des lieux privilégiés, élus et sans fin[...]

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Francis WYBRANDS. GASPAR LORAND (1925-2019) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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