YACHINE LEV (1929-1990)
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Footballeur soviétique, Lev Yachine donna ses lettres de noblesse au poste de gardien de but. Joueur de solide gabarit (1,88 m, 83 kg), puissant, souple, doté d'étonnants réflexes, il pouvait impressionner les attaquants adverses par des sorties tranchantes permises par son incomparable sens de l'anticipation, « fermer les angles » en toute circonstance grâce à son allonge exceptionnelle ou réaliser d'improbables plongeons ; il fut en outre le premier gardien de but à participer au jeu à la manière d'un second libero. Vêtu d'une tenue immuablement noire, la casquette rivée sur la tête, l'« Araignée noire » – le surnom que les journalistes occidentaux lui donnèrent – demeure la référence à son poste ; il fut un modèle pour tous ses successeurs et, sans doute, la seule vedette du football soviétique, alors que les vertus collectives étaient plus importantes pour les dirigeants sportifs et politiques que les distinctions individuelles. Il fut élu meilleur joueur européen (Ballon d'or) en 1963 – il est le premier et le seul gardien de but à avoir reçu cette distinction.
Lev Ivanovitch Yachine est né le 22 octobre 1929 à Moscou. Il travaille très jeune en usine, à Touchino, dans la banlieue de Moscou, comme apprenti métallurgiste. Il joue alors au hockey sur glace, et sa trajectoire sportive se modifie de façon fortuite : alors qu'il s'entraîne, des footballeurs du Dynamo Moscou qui cherchent un gardien de but font appel à lui. Il démontre immédiatement d'étonnantes qualités, et son approche de la préparation va lui permettre de révolutionner le rôle du gardien de but : il se livre certes aux exercices spécifiques destinés à travailler les réflexes, mais il consacre aussi des heures au dribble, au tir, à la jonglerie, aux contrôles, aux passes, comme les joueurs de champ... Il intègre en 1950 l'équipe première du Dynamo Moscou, où Alexei Khomich, le gardien de but titulaire, lui permet d'enrichir son bagage technique. Néanmoins, ses débuts au sein de l'équipe première, en 1951, ne sont pas à la hauteur, ce qui lui vaut deux années de purgatoire. Mais ce travailleur acharné progresse jusqu'à devenir l'inamovible gardien de but du Dynamo à partir de 1953, ce qui contraint Khomich à changer de club. Le Dynamo Moscou sera l'unique club de Yachine ; il disputera avec celui-ci 813 matchs jusqu'en mai 1971, moment où certains des plus grands footballeurs de l'époque viendront fêter en compagnie de cent mille spectateurs son jubilée au stade Lénine ; avec le Dynamo, il remportera cinq fois le Championnat d'U.R.S.S. (1954, 1955, 1957, 1959, 1963) et trois fois la Coupe d'U.R.S.S. (1963, 1967, 1970).
Lev Yachine fait ses débuts avec l'équipe d'U.R.S.S. en 1954 face à la Bulgarie et obtient son premier grand titre en 1956 : il est champion olympique à Melbourne. Durant les cinq matchs du tournoi, il ne concède que deux buts ; en finale, il décourage à lui seul les talentueux attaquants yougoslaves et permet à son équipe de conquérir la médaille d'or (1 but à 0). En 1960, il gagne avec l'U.R.S.S. la première Coupe d'Europe des nations, encore grâce à une victoire face à la Yougoslavie en finale (2 buts à 1) à Paris.
Pourtant, durant la Coupe du monde en 1962, Yachine connaît un brusque passage à vide : lors d'un match de poule, il concède 3 buts en un gros quart d'heure face à la Colombie (4-4) ; en quart de finale, contre le Chili, sans doute mal remis d'un choc à la tête avec le Chilien Honorino Landa, il commet deux maladresses qui précipitent l'élimination de sa formation (2 buts à 1). Néanmoins, l'année suivante, le jury de France Football le désigne Ballon d'or, la plus importante distinction pour un footballeur européen : il le préfère à l'élégant meneur de jeu italien Gianni Rivera et honore de cette manière une exceptionnelle carrière qui semble sur la fin en cette année 1963. Pourtant, en 1964, Lev Yachine dispute encore la finale de la Coupe d'Europe des nations, que l'U.R.S.S. perd à Madrid face à l'Espagne (2 buts à 1). En 1966, il est de nouveau sélectionné dans l'équipe d'U.R.S.S. qui participe à la Coupe du monde en Angleterre, mais l'entraîneur Nikolaï Morozov le met en concurrence avec le jeune Anzor Kavazashvili (vingt-six ans). Ce dernier ne démérite ni face à la Corée du Nord, ni contre le Chili, mais Yachine se montre infranchissable face à l'Italie (1 but à 0), puis il permet à l'U.R.S.S. de vaincre en quart de finale la talentueuse formation hongroise (2 buts à 1) ; il multiplie les parades en demi-finale contre la R.F.A., laquelle s'impose néanmoins (2 buts à 1). À l'issue du match pour la troisième place perdu face au Portugal (2 buts à 1), le célèbre Eusebio, la « Perle noire », s'excuse même d'avoir marqué un penalty à Yachine, élu meilleur gardien de but de cette Coupe du monde ! Yachine honore sa soixante-dix-huitième et dernière sélection avec l'équipe d'U.R.S.S. en 1967 ; néanmoins, il est encore présent durant la Coupe du monde au Mexique, en 1970 ; mais, à quarante ans, il n'est plus le titulaire et son rôle est de prodiguer ses conseils à Anzor Kavazashvili.
Après sa carrière sportive, Yachine devient expert au sein du Comité des sports de l'U.R.S.S. Mais la fin de sa vie est pathétique : victime d'une thrombose, il doit être amputé d'une jambe ; il vit alors dans un triste appartement et s'éteint le 21 mars 1990 à Moscou, des suites d'un cancer de l'estomac.
En plus du Ballon d'or, Lev Yachine fut honoré par multiples distinctions : il fut décoré de l'ordre de Lénine en 1967 et reçut le titre de héros du travail socialiste en 1990 ; en 1994, la F.I.F.A. créa le trophée Lev-Yachine, destiné à récompenser le meilleur gardien de but de la Coupe du monde ; la presse sportive russe l'a élu « meilleur sportif russe du xxe siècle » en 1999...
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Écrit par
- Pierre LAGRUE : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs
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