FERNÁNDEZ EMILIO (1904-1986)
Emilio Fernández naît, au début du siècle, à Mineral del Hondo (Mexique). Sa mère est une paysanne indienne, ce qui vaudra plus tard au cinéaste le surnom d'« El Indio ». De 1910 à 1917, le Mexique est en proie à la guerre civile. Adolescent, Emilio Fernández entre dans l'armée régulière. Lieutenant-colonel en 1923, il suit le général Adolfo de La Huerta, rebelle au gouvernement du président Obregon, compagnon de lutte de Pancho Villa. Cette rébellion échoue. Emilio Fernández émigre aux États-Unis, travaille à Hollywood où son allure mexicaine jugée typique lui vaut de petits rôles au cinéma. Il rencontre sa compatriote Dolorès del Rio.
C'est en 1933 qu'une amnistie permet à Emilio Fernández de rentrer au Mexique. Il y poursuit sa carrière d'acteur et passe à la réalisation en 1941 (La Isla de la pasion) puis tourne, en 1943, Flor silvestre (L'Ouragan) et Maria Candelaria. La présentation de ce film au premier festival de Cannes (1946) révèle un cinéma mexicain pratiquement inconnu et consacre internationalement Emilio Fernández. Ses films, tout au moins les plus importants, dans lesquels il décrit la vie et les mœurs des Indiens, traite de la révolution et des affrontements sociaux, seront désormais accueillis dans tous les festivals européens : La Perla (1945), Enamorada (1946), Río Escondido (1947), Maclovia (1948), La Malquerida (La Mal-aimée, 1949). En 1953, La Red (Le Filet) reçoit au festival de Cannes le prix du meilleur film raconté par l'image. Pourtant, la gloire d'Emilio Fernández se ternit. Les films qui suivent, jusqu'à la fin des années 1950 : El Reportaje (1953), El Rapto (1953), La Rosa blanca (1954), La Rebelión de los colgados (1954), Nostros Dos (1954), La Tierra del fuego se apaga (1955), Una cita de amor (1956), El Impostor (1957), ne sont pas exportés en Europe. On reparle d'Emilio Fernández à propos de Pueblito (1962) ; un dernier film de lui, La Choca (1973), sort en France en 1975. On n'y prête guère attention. Depuis longtemps, Emilio Fernández a repris son métier d'acteur dans des films mexicains ou américains. Il meurt à Mexico le 6 août 1986.
Les troubles politiques dont le Mexique fut agité, et la proximité des États-Unis, provoquèrent pendant les années 1920 une « colonisation » du marché cinématographique par Hollywood. Au milieu des années 1930, l'industrie mexicaine du film s'organise ; elle se stabilise en 1938 durant plus d'une décennie. C'est à cette période que se situent l'épanouissement artistique et le succès d'Emilio Fernández. Il travaille pour le public populaire d'un Mexique institutionnalisé, et introduit des éléments historiques et culturels dans des genres alors très pratiqués comme le mélodrame romantique ou social (sur lesquels Luis Buñuel exercera, par contre, la subversion surréaliste). Dans Flor silvestre, le fils d'un riche propriétaire terrien est banni du domaine parce qu'il a épousé la fille d'un des métayers et pactise avec les idées révolutionnaires. Ou encore, tous les malheurs fondent sur Pedro Armendariz et Dolorès del Rio, couple fétiche du réalisateur, dans Maria Candelaria, qui raconte l'histoire d'un couple d'Indiens poursuivi par les préjugés moraux et sociaux (l'action se situe en 1909) et par le mauvais sort. À l'occasion de ce festival de Cannes 1946 où Rome, ville ouverte révèle le néoréalisme italien, l'événement que constitue Maria Candelaria repose, en partie, sur un malentendu. Certains critiques veulent y voir une « tranche de vie », un tableau de la misère qui touche la paysannerie indienne dans l'ancien Mexique encore féodal. Il s'agit en fait d'un admirable poème sur un amour menacé, rejeté, condamné par les forces du mal, un hymne à la nature où s'intègrent deux êtres beaux, hiératiques, statufiés par les images, les compositions en noir et blanc du directeur de la photographie Gabriel Figueroa, déjà responsable des éclairages de Flor silvestre.
Plastiquement, Fernández et Figueroa suivent et suivront toujours le modèle envoûtant du Que viva Mexico tourné en 1930 par S. M. Eisenstein, dont les rushes diversement exploités servaient de référence esthétique à tout ce qui concernait les films sur le Mexique et son folklore. Un terme qui, chez Emilio Fernández, peut être pris au sens noble, mais qui est aussi, en tant qu'expression artistique, un des registres privilégiés du cinéaste et de son public.
Gabriel Figueroa qui, en cinq ans, a fait avec Emilio Fernández quatorze films, doit lui être associé comme créateur de formes, d'images façonnant un univers à mi-chemin du réalisme historique et des légendes poétiques dont un des meilleurs exemples reste La Perla, d'après un scénario de John Steinbeck : un couple de pêcheurs croit être tiré de la pauvreté et du malheur par une perle précieuse, ramassée dans une huître. Or elle leur devient une malédiction. Maria Elena Márquez est ici la partenaire de Pedro Armendariz, et sera remplacée, dans Enamorada, par Maria Félix. Celle-ci y joue le rôle d'une fille de l'aristocratie dont s'éprend, en 1917, un général de rebelles plébéien. Elle le repousse, puis le rejoint. Le film, dédié à la mémoire des « femmes-soldats » de la liberté, traite comme des éléments folkloriques (donc rattachés à la mémoire nationale) les événements sociopolitiques. Marqué par les bouleversements de sa jeunesse et par sa propre expérience de la guerre civile, Emilio Fernández retient uniquement de cette époque et des mouvements révolutionnaires ce qui peut, avec le recul des années, alimenter le patriotisme du Mexique contemporain. Dans Río Escondido, Maria Félix – cette fois sans Pedro Armendariz – incarne une jeune institutrice, nommée, après l'instauration de la république, dans un village arriéré dont elle doit éduquer les enfants et la population. Elle devient une figure exemplaire en se heurtant, vaillamment, à un tyran local. Dans Maclovia, c'est « El Indio » Fernández qui, à travers Maria Félix et Pedro Armendariz, exalte la beauté et la fierté des Indiens du Mexique en butte aux tracasseries des étrangers.
La Red (Le Filet) change toutes les perspectives et use de symboles érotiques, audacieux en 1953 ! Dans un magnifique paysage de plage, l'actrice italienne Rossana Podesta suscite le désir sexuel de deux hommes. Le film comporte peu de dialogues. Alex Philipps, directeur de la photographie d'origine américaine, avait eu Gabriel Figueroa pour assistant. La preuve que les films d'Emilio Fernández ne se réduisent pas à l'esthétisme photographique très travaillé est que les fausses audaces de La Red se sont vite écroulées. Et si l'état du cinéma mexicain à cette époque amena un déclin certain de l'art de Fernández, tout ce que nous connaissons de la période 1943-1953 demeure l'expression authentique des conceptions du cinéaste, et de son apport à la production cinématographique de son pays.
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Écrit par
- Jacques SICLIER
: journaliste, critique de cinéma au journal
Le Monde
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