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ROBIN ARMAND (1912-1961)

Si elle n'était nourrie d'une aventure existentielle admirable et hors du commun, l'œuvre d'Armand Robin retiendrait moins l'attention. Dès l'enfance, ce fils de paysan breton pauvre est placé dans une situation de bilinguisme : à l'école, le français remplace le breton (Le temps qu'il fait, roman, 1935, puis 1941). Toute sa vie tournera autour d'une méditation obsessionnelle sur les pouvoirs du langage, ses affres et ses mensonges. Il voyage, fait des traductions, échoue à l'agrégation. Il brave l'occupant nazi en le mettant lui-même au courant de ses activités antihitlériennes, réclame au Conseil national des écrivains d'être inscrit sur sa liste noire. En mai 1944, il invente le métier d'« écouteur de radios », et apprend de multiples langues nouvelles. Les milliards de mots déversés sur les ondes le fascinent, et il s'engage dans la conjuration impossible de leurs trahisons, au risque de se déposséder de lui-même. Ses « bulletins d'écoute », il les destine à des abonnés peu ordinaires (l'Élysée, le Vatican, Le Libertaire...) ; il mène parallèlement une analyse critique virulente des mécanismes du décervelage totalitaire, celui de l'U.R.S.S. stalinienne notamment, qui trouve sa formulation définitive dans La Fausse Parole (1955). Après des années de difficultés matérielles et sentimentales, il meurt, seul, à l'infirmerie spéciale du Dépôt, le 29 mars 1961.

Robin part à la conquête de la Langue primordiale, celle d'avant les langues ; il veut « traverser les paroles » pour retrouver l'Être. Poèmes (Ma Vie sans moi, 1940 ; Le Monde d'une voix, 1968, posthume), écoutes radiophoniques, traductions (Ady, Blok, Essenine, Pasternak, Maïakovski, Ungaretti, mais aussi des poètes arabes ou chinois) — qui seront rassemblées dans Quatre Poètes russes (1951) et dans Poésie non traduite I et II (1953 et 1958) — voudraient rétablir la transparence entre les êtres, les peuples, les cultures. Ce douloureux mélange d'anarchisme universel et de foi primitive, vécus dans la solitude étranglée, Robin devait le payer de sa vie. Quelques poèmes, certaines pages de prose sont à mettre d'ores et déjà au compte des meilleures productions de la littérature contemporaine. Quant aux traductions, les spécialistes y reconnaissent une tentative réussie pour restituer les rythmes et la matière sonore des langues originales.

— Michel P. SCHMITT

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Michel P. SCHMITT. ROBIN ARMAND (1912-1961) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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