XÉNOBIOLOGIE

Un des buts de la xénobiologie est de créer des organismes vivants n’obéissant pas aux règles communes des organismes actuels, des « aliens » en quelque sorte. De nombreuses tentatives ont visé à remplacer le carbone – ubiquitaire – par du silicium, ou encore le phosphore par de l’arsenic. Depuis une dizaine d’années, plusieurs laboratoires japonais, américains et français cherchent à modifier le code génétique universel. Un premier pas semble avoir été franchi dans le courant de l’année 2014, avec la construction d’un alphabet génétique à six lettres au lieu des quatre lettres universelles.

Un code génétique à six lettres

Chez tous les organismes étudiés jusqu’à présent – virus, archées, bactéries, plantes et animaux –, l’information génétique est codée dans un acide nucléique, de l’ADN dans l’écrasante majorité des cas, parfois de l’ARN. Le codage repose sur l’usage de quatre molécules, ou bases nucléiques : adénine, thymine (remplacée par de l’uracile dans l’ARN), cytosine et guanine (A, T[U], C et G). L’ordre dans lequel ces bases sont disposées l’une après l’autre de long de la molécule d’acide nucléique détermine la structure et la fonction des molécules codées par l’ADN (ou l’ARN). On parle d’un alphabet génétique à quatre lettres. Ce code est universel, et on peut imaginer une pression de sélection extrêmement forte en sa faveur pour qu’il ait été préservé au cours de l’évolution, comme d’ailleurs les voies métaboliques qui permettent la synthèse des composants de l’ADN, les enzymes qui assurent sa copie (réplication) lors de la division cellulaire, celles qui vérifient que la copie est exacte et réparent les erreurs et enfin la machinerie de décodage. Peut-on, dans ces conditions, imaginer un autre code génétique fonctionnel ?

La chimie des composants de l’ADN permet depuis longtemps d’introduire dans ce dernier des bases modifiées. C’est désormais une opération de routine, par exemple pour déterminer la séquence d’une molécule d’ADN grâce à des bases rendues fluorescentes. Mais on ne demande pas à la molécule d’ADN ainsi modifiée d’être stable ou d’être copiée lors d'une division cellulaire. Le résultat annoncé par un groupe de chercheurs du Scripps Research Institute (Californie), dirigé par Floyd E. Romesberg, associé à des chimistes de l’Académie des sciences tchèque, est précisément la construction d’un organisme – ici un mini-chromosome (plasmide) du colibacille Escherichia coli – dont l’ADN contient, en sus des deux paires de bases habituelles, une paire de bases non naturelles. Ce plasmide peut se multiplier normalement : on a donc créé un ADN biologique d’un type nouveau dont le code génétique possède désormais six lettres au lieu de quatre. Au cours des dix années précédentes, ces chercheurs avaient synthétisé divers nucléotides non naturels, montré qu’ils pouvaient être incorporés dans de l’ADN et même être amplifiés in vitro par PCR (polymerase chain reaction) : ils étaient donc lus et copiés avec exactitude. Pour démontrer que l’alphabet du code génétique pouvait être élargi, la dernière étape était de vérifier si un plasmide, dans lequel des paires de base non naturelles avaient été incorporées, pouvait se multiplier dans le milieu naturel qu’est l’intérieur d’un colibacille. Ces bases étant produites par les chimistes, elles n’existent pas dans la bactérie. On ne peut que les ajouter au milieu de culture. Pour qu’elles entrent dans la bactérie, il a fallu modifier cette dernière en la dotant de gènes empruntés à une algue, qui codent pour une molécule de la membrane permettant le passage des bases non naturelles du milieu extérieur vers l’intérieur de la cellule. Dans ces conditions, on montre que la mécanique de réplication de l’ADN[...]

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Écrit par

  • Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris-VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur

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Pour citer cet article

Gabriel GACHELIN, « XÉNOBIOLOGIE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

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