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BION WILFRED R. (1897-1979)

La psychose

Bion a élaboré ses conceptions concernant la psychose pendant les années 1950-1962 et les a explicitées dans Second Thoughts (1967). Il reprend au modèle de l'appareil psychique, présenté par Freud dans l'aporétique chapitre VII de L'Interprétation des rêves (1900), le thème de la conscience comme organe de perception périphérique, en double contact, centripète et centrifuge, avec la réalité externe et la réalité interne. D'après lui, cet organe fonctionne, bien que sous une forme rudimentaire, dès le début de l'existence. Le mésusage de cet organe définit, entre autres facteurs, la personnalité psychotique. Plutôt qu'un diagnostic psychiatrique, cette expression désigne un état mental, la partie psychotique de la personnalité, qui coexiste toujours, mais à des degrés variables selon les individus, avec une partie non psychotique de celle-ci. Le processus propre à la personnalité psychotique se caractérise par quatre traits dominants : l'intolérance à la frustration ; la prédominance des pulsions destructrices, qui s'exprime par une haine violente contre la réalité aussi bien externe qu'interne ; la crainte d'un anéantissement imminent ; l'établissement de relations marquées à la fois, de façon paradoxale, par leur précarité et la ténacité du sujet à les préserver.

La différenciation entre les processus de la personnalité non psychotique et ceux de la personnalité psychotique tient au fonctionnement – normal ou, au contraire, pathologique – du mécanisme de l' identification projective. Décrit d'abord par Melanie Klein, ce dernier, qui fonctionne dès les premiers mois de la vie, consiste, sur le plan fantasmatique, dans le déplacement des mauvaises parties du moi et des objets internes sur l'objet externe – ce qui permet de préserver les bonnes parties du moi, tout en exerçant un contrôle par agression sur l' objet externe. Par la suite, ces parties projetées peuvent être réintrojectées sous forme de contenus plus supportables pour le nourrisson, du fait – précise Bion, qui complète ainsi la thèse de Melanie Klein – de l'action d'un « contenant », le bon sein maternel, dont le rôle consiste à retenir et à réduire la violence des émotions de l'enfant, en les réfléchissant.

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Bion considère le mécanisme d'identification projective dans son usage normal comme l'origine de l'activité qui deviendra ultérieurement le processus de pensée et qui présuppose le développement de la relation d'empathie avec l'objet, de la communication avec autrui et de la formation des symboles. Dans le registre pathologique, par contre, l'hypertrophie des processus d'identification projective s'accompagne de la distorsion de la relation dynamique « contenant-contenu ». Cette situation est marquée par la prédominance de l'envie et de l'avidité, où s'exprime le conflit jamais résolu entre pulsions de vie et pulsions de mort. En outre, la tendance à l'expulsion de tout ce qui touche à la frustration et à la douleur se manifeste en particulier sous la forme de tentatives de destruction de l'organe de perception interne et d'attaques sadiques dirigées contre le moi et la source de la pensée. Cet état mental destructeur dirigé contre l'appareil psychique lui-même, contre la matrice de la pensée et du langage prend la forme d'un processus d'« attaque contre les liens ». Celui-ci est dirigé contre les fonctions du moi naissant, dont le rôle consiste précisément à établir des liens et qui sont la conscience, l'attention, le jugement. Il s'attaque ainsi aux chaînons de pensée embryonnaires provenant de la partie non psychotique de la personnalité. Cette abolition de l'appareil de liaison entraîne la perte de toute capacité de synthèse, en dehors de la simple juxtaposition ou d'une agglomération informe, ainsi que l'impossibilité de la formation des symboles, d'où résulte à terme une divergence de plus en plus grande entre les deux parties psychotique et non psychotique de la personnalité, jusqu'au moment où la séparation sera vécue comme inéluctable. À l'opposé de la personnalité non psychotique, la personnalité psychotique se caractérise par l'incapacité d'évoluer, de produire des « transformations » dans le matériel psychique.

La dissociation par clivage pathologique des parties de l'appareil mental produit une multitude de fragments minuscules qui, expulsés avec violence, s'incrustent dans l'objet réel et le rendent à son tour menaçant pour le sujet. Le psychotique vit entouré de tels « objets bizarres » formés de morceaux du moi, de bribes de liens, de parties de l'appareil perceptuel, de restes du surmoi et d'objets externes. Ces vestiges de provenance hétéroclite ne peuvent être récupérés par la pensée et sont ressentis comme des « choses-en-soi », que Bion appelle « éléments bêta » et qui ne peuvent plus être ni introjectés ni refoulés, la fonction de liaison que présuppose le refoulement étant anéantie. Ce mécanisme est remplacé, en fait, par les mécanismes plus primitifs du clivage et de l'identification projective, dont les effets, à l'inverse de ceux du refoulement, consistent à placer les contenus dans le réel. Un univers d'« objets bizarres-choses-en-soi » a usurpé la place de la pensée et subverti le lieu de l'« espace mental ». Par ailleurs, un substitut de l'introjection intervient sous la forme d'une identification projective inversée, qui provoque un retour des objets expulsés, vécu comme une pénétration agressive et douloureuse. La personnalité psychotique tend à organiser un équivalent du surmoi qui est caractérisé par l'affirmation d'une supériorité destructrice et par la détermination à la possession dévastatrice. L'opposition à tout apprentissage fondé sur la compréhension, l'assimilation et l'automatisation des symboles se développe en des attitudes d'omnipotence et d'omniscience. Ce surmoi primitif se laisse identifier, d'une manière qu'il importe à la clinique de déceler, par une triade faite d'arrogance, de stupidité et de curiosité obstinée.

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur de psychologie et d'épistémologie à l'université de Paris-Nord

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