Accédez à l'intégralité de nos articles sans publicité

TRACES DU SACRÉ (exposition)

L'exposition Traces du sacré, qui s'est tenue au Centre Georges-Pompidou à Paris du 7 mai au 11 août 2008, se veut une célébration transdisciplinaire et résolument intellectuelle. L'événement s'efforçait de combler une lacune très française : l'absence d'exposition marquant le dialogue entre l'art et les figures du sacré au xxe siècle. Le pas avait déjà été franchi dès 1986 au Los Angeles County Museum of Art de Los Angeles avec The Spiritual in Art, Abstract Painting 1890-1985, puis dans Occultisme et avant-garde de Munch à Mondrian, 1900-1915 à la Schirn Kunsthalle de Francfort, en 1995. Les 257 œuvres de la première exposition dressaient un panorama inédit du xxe siècle, nourri des thèses énoncées par Sixten Ringbom et Robert P. Welsh dans les années 1960 sur les liens entre spiritualité, mysticisme et abstraction. Réitérer « l'audace et l'érudition » de ce premier exemple, tel aura été le dessein poursuivi par les deux commissaires de Traces du sacré, Angela Lampe et Jean de Loisy. En Allemagne, l'énorme exposition d'environ 800 œuvres se limitait à aborder deux décennies artistiques en jouant d'une pluridisciplinarité débordante.

À Paris, il a d'abord fallu rompre avec l'amalgame souvent fait entre l'art sacré et le sacré dans l'art. C'est pourquoi désenchantement et sécularisation sont les deux maîtres mots qui rythment le projet français. On pourrait dire que le parcours, dont la trame est à la fois chronologique et thématique, pose la question : que reste-t-il du sacré après la mort de Dieu ? Partant de l'émancipation de l'art vis-à-vis du religieux et de l'affirmation d'une spiritualité qui ne lui serait pas forcément liée, l'exposition en vient à recouper les domaines les plus variés : la psychanalyse, la science, l'occultisme (jusqu'au satanisme), le chamanisme, les « trips » psychotropes, et bien sûr la religion. En tout, vingt-quatre entrées thématisées, nourries d'histoire, de philosophie et de théologie ainsi que d'une indéfectible croyance en l'art. Telle est la base d'une aventure littéralement « racontée » qui n'a pas ménagé ses effets. Une exposition « habitée », jouant de sons, créant de petits espaces contrebalancés par de grandes perspectives traversantes.

Accédez à l'intégralité de nos articles sans publicité

Traces du sacré s'est aussi caractérisée par des prêts prestigieux. De Goya et Friedrich à Robert Filliou et Bill Viola, on compte environ 350 œuvres pour 200 artistes, balayant tous les médiums artistiques. Le parcours a affirmé sa densité, prenant le risque d'interprétations inédites, comme pour Formes uniques de continuité dans l'espace (1913), sculpture futuriste d'Umberto Boccioni, dont l'observation attentive a révélé la présence d'une croix, plutôt inattendue lorsqu'on connaît l'anticléricalisme viscéral de ce mouvement d'avant-garde. L'exposition a aussi révélé les toiles de la Suédoise Hilma af Klint (1862-1944), précurseur de l'art abstrait. Bien avant la date de 1912, devenue canonique avec la publication de Du spirituel dans l'art de Wassily Kandinsky, et entérinant l'abstraction, Klint avait déjà franchi le pas. Son œuvre prolixe, constitué d'un millier de pièces, n'était connu que de quelques initiés, et ne fut découvert que très tardivement, en 1986, à l'occasion de l'exposition américaine The Spiritual in Art. Au Centre Georges-Pompidou, les toiles monumentales de Klint, entre motifs floraux et volutes géométriques, voisinent directement avec des pionniers de l'abstraction tels que Kandinsky, Malévitch et Mondrian.

Construite à partir d'un point nodal, à la fois intellectuel et physique, constitué par les salles « Eschatologie », « Apocalypse I et II », Traces du sacré dresse le portrait d'un siècle où la création se montra tantôt radieuse et quasi extatique, tantôt inquiète et presque désespérée. En vérité, l'homme, bien plus que Dieu, occupe ici une place centrale. « Le spirituel religieux et sa représentation dogmatique cèdent la place à une quête métaphysique intériorisée qui se nourrit de sources occultes et mystiques, de lectures, philosophiques et littéraires, de la découverte d'autres cultures et rites, de textes sacrés, de nouvelles expériences perceptives et de désir de profanation », écrit Angela Lampe à propos des années 1900.

S'ouvrant à une pluralité de formes, le processus de sécularisation qui marque le siècle s'avère autant destructeur que constructif. Polysémiques, hétérogènes et riches en rebondissements, les vingt-quatre sections thématiques ont ménagé des dialogues transgénérationnels féconds. L'aspiration à l'invisible (Kupka, Malévitch), la redécouverte du sublime (Newman, Rothko), l'affirmation du dionysiaque (Kirchner, Nolde, Cameron Jamie), l'évocation de la chair souffrante (Beckmann, Bacon) et la recherche de la transgression (Klossowski, Journiac, Marina Abramovic) sont quelques-unes des postulations ainsi rendues sensibles. Le parcours fluide s'est affirmé sensible, analogique et rigoureux, n'hésitant pas, dès la première salle, à mettre en évidence les échos formels existant entre un Lucio Fontana ovoïde (Concettospaziale. La fine di Dio, 1963), délicatement pailleté et grêlé de trous, et les reflets fascinants d'un triptyque de Damien HirstForgive me Father for I Have Sinned (Pardonnez-moi, Seigneur, parce que j'ai péché, 2006), composé de milliers de mouches. Emporté par le rire hystérique qui vibre dans l'œuvre sonore D'io (1971), de l'Italien Gino de Dominicis, et sous le signe du portrait de Friedrich Nietzsche par Munch (1906), ainsi commence la visite avec « La Trace des dieux enfuis », préparant à une alternance de morceaux de bravoure et de passages de recueillement, de chefs-d'œuvre et de découvertes. Les prêts exceptionnels obtenus, du retable Ad Astra (1894) d'Akseli Gallen-Kallela au Cheval dans le paysage de Franz Marc (1910), sont légion. Et c'est ici une autre lecture de la modernité qui nous est proposée au fil des salles, du projet utopique de la chaîne de verre de Wenzel Hablik préfigurant le Bauhaus, aux danses de Mary Wigman inspirées des rituels tribaux indiens et photographiées par Charlotte Rudolph dans le Chant du destin (1925-1935), de la très belle vidéo Le Souffle du récitant comme signe (2003) de Yazid Oulab aux variations optiques de la salle consacrée au psychédélisme. Mentionnons également la petite salle semblable à une chapelle, qui accueille L'Oiseau de Brancusi. Et regrettons quand même l'étonnante absence des « néo-luministes », James Turrell en tête, et de l'art minimal dans son entier.

— Bénédicte RAMADE

Bibliographie

M. Alizart dir., Traces du sacré, Éditions du Centre Georges-Pompidou, Paris, 2008.

Accédez à l'intégralité de nos articles

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrir

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : critique d'art, historienne de l'art spécialisée en art écologique américain

Classification

Voir aussi