STYLISTIQUE
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Théories des stylistiques
Les trois rhétoriques
Historiquement, la stylistique est liée à la rhétorique. Le père fondateur des études qui intéressent ici est Aristote, notamment dans ses deux œuvres fondamentales, La Rhétorique et La Poétique ; les titres sont emblématiques, et gros de presque tous les développements futurs, successivement les plus novateurs. Mais il existe, au moins, trois rhétoriques. Le courant le plus récurrent est celui de l'art de persuader. Un locuteur (l'orateur) entraîne ses auditeurs à faire ou à penser ce qu'ils n'ont a priori aucune raison ou aucune envie de faire ou de penser ; on aboutit à isoler trois grands types d'éloquence, selon qu'on veut persuader sur le vrai ou le faux, sur l'opportun ou l'inopportun, sur le bien ou le mal. On voit que sont de la sorte engagées non seulement les pratiques oratoires, mais aussi l'ensemble des procédures des discours idéologique, politique et publicitaire. Dans La Rhétorique, Aristote explore notamment les « lieux », les topoi, analysables pour nous comme figures macrostructurales de second niveau, qui sont des modèles logico-discursifs propres à nourrir les stratégies argumentatives. Cette orientation, exemplairement illustrée de nos jours dans les travaux d'Oswald Ducrot, est évidemment solidaire des recherches actuelles en pragmatique, soit qu'on essaie de scruter les procédés argumentatifs et efficients dus à la prononciation fictionnelle de paroles à l'intérieur d'un univers littéraire donné, soit qu'on tente de mesurer la portée culturelle des productions littéraires considérées comme actes de langage particuliers. Ces deux interrogations font partie intégrante de toute stylistique moderne.
L'autre rhétorique est celle de La Poétique, c'est-à-dire, en gros, l'étude des figures : à cet égard, il est inutile de souligner le caractère à la fois central et prolifique de ce filon par rapport à notre propos, depuis le Traité des tropes de Du Marsais jusqu'aux publications actuelles du Groupe μ, de Michel Le Guern, de Marc Bonhomme ou de Françoise Douay. La théorie des figures, globalement classables en figures microstructurales et figures macrostructurales, selon leur caractère manifeste ou non manifeste, obligatoire ou non obligatoire eu égard à l'acceptabilité pour le récepteur, isolable ou non isolable sur des éléments formels précis (ou bien morphologiquement dépendant ou non de ces éléments) – une telle théorie informe incontestablement le décryptage stylistique de quelque œuvre que ce soit. Tout au plus notera-t-on la nécessité de distinguer, dans la manipulation langagière constitutive du langage figuré, le point de vue de l'émetteur, qui, pour traduire un signifié stable, joue sur un ensemble de signifiants, de celui du récepteur qui, face à un seul objet signifiant, cherche, ou ne cherche pas, à le placer sur la bonne combinaison de signifiés. De fait, la tradition occidentale oblige à parler d'une troisième rhétorique, développée en marge de ces deux là, qui triompha en France aux xviie et xviiie siècles, et jusque dans l'enseignement institutionnel du xixe : la rhétorique normative, symbolisée par les innombrables arts de bien juger des ouvrages de l'esprit, qui s'adresse tant aux critiques qu'aux praticiens du beau langage, dominant ainsi l'univers de l'écriture officielle depuis La Bruyère jusqu'à Anatole France et à André Gide. La double finalité de cette rhétorique, pour la création et pour l'analyse, a pu remplir totalement et parfaitement l'horizon d'une certaine stylistique, dont les tenants et aboutissants en furent donc absolument épuisés.
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Écrit par :
- Georges MOLINIÉ : agrégé de lettres, docteur de troisième cycle, docteur ès lettres, professeur des Universités, université de Paris-IV-Sorbonne, directeur de l'Institut de langue française
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« STYLISTIQUE » est également traité dans :
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Pour citer l’article
Georges MOLINIÉ, « STYLISTIQUE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 06 février 2023. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/stylistique/