SIGNE ET SENS

Sémiotique et sémantique

L'analyse précédente a été appelée une analyse en première approximation. On a dû admettre, en effet, pour l'amener à ces deux extrêmes conséquences, que la question du sens ne se distinguait pas de celle du signifié des signes. Or cette identification du sens au signifié peut elle-même être interrogée. N'y a-t-il rien d'autre dans le langage à quoi la question du sens puisse être rattachée ? Ce serait le cas si l'on pouvait affirmer sans réserve que le langage repose sur une seule sorte d'entités ou d'unités, les signes. Il ne semble pas que Saussure, de qui dérive l'analyse antérieure, en ait douté. Et pourtant, la distinction qui précède toutes les autres dans son œuvre, celle de la langue et de la parole, laisse ouverte la question de savoir si la parole ne repose pas elle aussi sur des unités qui lui soient propres. Le Cours de linguistique générale côtoie ce problème à l'occasion d'une distinction qui vient vers la fin de l'ouvrage et qui concerne le mécanisme de la langue. Venant à considérer non plus les signes eux-mêmes, mais la manière dont ils se combinent, Saussure distingue deux sortes de rapports : les rapports syntagmatiques (c'est-à-dire les combinaisons entre tous les termes présents dans la chaîne du discours et placés dans un rapport de continuité temporelle) et les rapports paradigmatiques (qui régissent la sélection d'un terme présent par rapport aux termes absents qui constituent avec lui une sphère de ressemblance, un paradigme pour des opérations de substitution). Or ces deux types de rapports sont simultanément mis en œuvre, en chaque acte de parole, sur la base d'une entité linguistique qui suffit à elle seule à différencier la parole de la langue ; cette entité linguistique est la phrase. La question se pose alors de savoir si la phrase ne constitue pas une unité linguistique absolument irréductible aux unités de langue. Cette question est décisive pour la présente investigation portant sur les rapports entre signe et sens ; ne peut-on supposer, en effet, que la notion de sens n'est aucunement réductible à celle du signifié, c'est-à-dire de corrélatif du signifiant, mais qu'elle est plutôt un trait caractéristique de la phrase en tant qu'unité de parole ? C'est cette hypothèse qu'on va maintenant explorer. Elle implique que signe et sens ne sont pas de simples corrélatifs, comme signifiant et signifié, mais qu'ils appartiennent à deux champs théoriques distincts, reposant sur des principes distincts et demandant des descriptions distinctes.

Linguistique du discours

Cette analyse nouvelle relève encore pour une part de la linguistique ; mais alors il s'agit d'une linguistique du discours et non plus de la langue ; elle relève pour une autre part de la sémantique philosophique, qui attaque la question du sens directement, sans considération de la diversité des langues naturelles et donc de l'investigation des signes ; cette sémantique philosophique connaît un grand développement dans les travaux de langue anglaise. Dans une première phase, la théorie du meaning a procédé directement des tentatives de reformulation du langage ordinaire selon les canons des « langues bien faites » construites par Whitehead et Russell à l'époque des Principia mathematica, par Wittgenstein à l'époque du Tractatus et par Carnap. Dans une deuxième phase, sous l'influence de Ryle, du second Wittgenstein, de J. L. Austin et de P. F. Strawson, le langage ordinaire est tenu pour un mode de signification, d'expression et de communication, irréductible à tout modèle logico-mathématique et approprié à sa fonction d'information dans le cadre d'une expérience variée et virtuellement inépuisable. On dispose ainsi d'une immense littérature sur le [...]

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Écrit par

  • Paul RICŒUR : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago

Classification

. In Encyclopædia Universalis []. Disponible sur : (consulté le )

Média

Étienne Bonnot de Condillac

Étienne Bonnot de Condillac

Étienne Bonnot de Condillac

Pour Étienne Bonnot de Condillac (1714-1780), le sens dérive du signe. Lithographie au crayon…

Autres références

  • SENS (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 158 mots

    La notion de « sens » recouvre deux registres dont la question est de savoir s’ils sont inséparablement liés ou s’ils peuvent être disjoints. Le sens, en effet, c’est à la fois la direction (« sens interdit ») et la signification (« ce que tu dis n’a aucun sens »). Peut-il y avoir signification sans...

  • ABSTRAIT ART

    • Écrit par Denys RIOUT
    • 6 716 mots
    • 2 médias
    ...illustrer une pensée préexistante ; il est pensée en acte, incarnée dans un médium spécifique. C'est pourquoi il ne saurait être question de démontrer sa signification. Toujours immanente à sa forme, celle-ci affecte l'émotion et ne peut être pleinement saisie que dans l'intuition d'un rapport...
  • ACOUSMATIQUE MUSIQUE

    • Écrit par François BAYLE
    • 7 820 mots
    • 4 médias
    Une première approche pour le repérage acousmatique peut s'inspirer des catégories propres aux signes dues au sémiologue américain Charles Sanders Peirce (1839-1914)[Écrits sur le signe, 1978] ; celui-ci définit :
  • ANAGRAMME, littérature

    • Écrit par Véronique KLAUBER
    • 346 mots

    Les avatars de l'anagramme fournissent le paradigme des changements de fonction de nombreux artifices linguistiques : désacralisée par les auteurs antiques, elle devient plus tard un jeu littéraire, recouvre sa nature ésotérique, puis recommence une nouvelle carrière littéraire. La transposition...

  • ANALYSE & SÉMIOLOGIE MUSICALES

    • Écrit par Jean-Jacques NATTIEZ
    • 5 124 mots
    • 1 média
    Le structuralisme conçoit le signe moins comme l'union d'un signifiant et d'un signifié que comme un élément intégré à un système, entretenant avec ses voisins des rapports « oppositifs et négatifs ». Paul Ricœur l'énonce très clairement en 1967 : « Le type d'intelligibilité qui s'exprime dans le structuralisme...
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Voir aussi