ROCOCO
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Aperçus sur le rococo musical
Mieux que les Variations sur un thème rococo, un thème pour violoncelle à la Boccherini, de Tchaïkovski (1876), c'est la Suite en rocaille pour flûte, harpe, alto et violoncelle de Florent Schmitt qui, en 1934, rend un plus réel hommage à l'Europe musicale du siècle de Louis XV. Les musicologues d'expression française prisent peu l'adjectif « rococo », à l'inverse des Allemands et Anglo-Saxons, tels K. Geiringer, F. Stein, E. Bücken, A. T. Davison, W. Apel. L. de La Laurencie parle pourtant de style « rocaille » pour caractériser l'école de violon qui précède celle de P. Gaviniès (1728-1800) et dont font partie, notamment, L. A. Travenol (1700 env.-1770 ; cf. La Fierté vaincue par l'amour, 1735), Jean Lemaire († 1749 ; Premier Livre de sonates pour le violon et la basse continue, 1739), F. Hanot (1697-1770 ; cf. ses pages dans le Troisième Recueil des récréations de Polymnie ou Choix d'ariettes, monologues, airs tendres et légers, 1763), A. N. Pagin (1721-1785 ; Sonates à violon seul et basse continue, op. 1, 1748) ; sont à rapprocher de ce rocaille des maîtres comme B. Anet (1661-1755), J. M. Leclair (1697-1764), P. Vachon (1731-1803), A. Dauvergne (1713-1797), J. P. Guignon (1702-1774 ; Nouvelles Variations de divers airs et folies d'Espagne amplifiées, env. 1746). « Avec l'école de Gaviniès, sous l'influence des mannheimistes et des opéras bouffes italiens, le style dit galant se substitue au style rocaille de l'époque antérieure » (La Laurencie). De son côté, J. Witold désigne par « rococo » le style des fils de Bach, tandis que R. Goldron en fait l'équivalent du style galant. Certes, il convient de se méfier des termes abstraits et quoique dans cette courte étude on ne puisse établir à loisir de différence entre rocaille et galant, il est peu clair de parler de classicisme à tout propos, comme on le fait trop souvent en France, quand on traite de musiciens comme Lully, Bach, Haendel, Couperin, Rameau, Haydn ou Mozart.
Le xviiie siècle est un immense creuset où de multiples courants s'affrontent, se croisent ou se prolongent. Entre le baroque de Haendel ou de Bach et l'équilibre classique de Haydn ou de Mozart prend place le rococo dont les deux expressions majeures sont, d'une part, le style galant, « plus volontiers décoratif que lyrique » (M. Pincherle), proche du rocaille de La Laurencie, et, d'autre part, par réaction à la fois contre le baroque et contre les exagérations maniéristes de ce rococo galant, le rococo sensible, celui de l'Empfindsamkeit. « Nulle époque antérieure n'avait produit une floraison aussi touffue de fantaisies pour tous les instruments, nulle autre surtout n'avait cherché à y exprimer librement les mouvements de l'âme ou, du moins, ce que l'on était convenu d'appeler ainsi. Il ne s'agit plus de fantasieren [improviser] selon les règles bien connues en faisant montre de sa science instrumentale, mais d'exprimer ses humeurs et ses sentiments en improvisant » (C. de Nys).
Raymond Bayer, l'un des premiers, a qualifié le rococo d'« esthétique de la grâce », et Philippe Minguet reprend aisément cette idée à son compte, soulignant de manière plus nette encore à quel point ce style s'oppose à l'art baroque tourné intimement vers la recherche du sublime. Même si l'art musical post-baroque n'évite pas toujours les écueils de la mièvrerie, de la minauderie, du maniérisme, une chose est sûre : il refuse la majesté et la pompe du sublime dont Kant aurait pu être le chantre. Le rococo part en quête d'un nouvel équilibre des formes belles dans l'art des sons.
La conception rococo de l'existence se reflète musicalement dans la recherche de l'élégance et de la frivolité légère par les courtisans, aussi bien dans la France de Louis XV que dans l'Allemagne de Frédéric II ou l'Autriche de Marie-Thérèse. Le retour à la nature, si différent soit-il chez Rousseau et Rameau, s'incarne cependant chez l'un et l'autre par des désirs de pastorales, de danses populaires. La musique de danse, telle qu'elle se pratique à la cour de Versailles, de Vienne ou de Berlin comme dans les villes libres de ces royaume, accueille un nouvel esprit, dédaigneux du baroque, estimé trop sévère.
Du baroque au rococo galant
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Écrit par :
- Georges BRUNEL : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres, conservateur des objets d'art des églises de la Ville de Paris
- François H. DOWLEY : professeur à l'université de Chicago
- Pierre-Paul LACAS : psychanalyste, membre de la Société de psychanalyse freudienne, musicologue, président de l'Association française de défense de l'orgue ancien
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Pour citer l’article
Georges BRUNEL, François H. DOWLEY, Pierre-Paul LACAS, « ROCOCO », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 23 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/rococo/