REPRÉSENTATIONS COLLECTIVES

Un fait social

Bien plus, considérer les représentations collectives comme sociales consiste à admettre que les choses qu'elles expriment non seulement y trouvent leur origine, mais sont aussi des aspects différents de l'être social qui leur sert de contenu. Si bien que la cohérence qu'on attribue au monde et à sa représentation est un artefact de celle qu'on trouve dans la société. Les représentations collectives expriment toujours des choses sociales, c'est-à-dire des aspects de la société plus ou moins transfigurés. Elles « correspondent à la manière dont cet être spécial qu'est la société pense les choses de son expérience propre [...] elles sont riches de son expérience ». C'est pourquoi, selon Dukheim, si l'on s'intéresse à la forme des représentations collectives, on se rend compte que, comme elles symbolisent un état du groupe social, elles « expriment des catégories et des classes plutôt que des objets particuliers ».

Dans Morphologie sociale (1938), Maurice Halbwachs explique que, même si l'âge paraît être une donnée biologique, toutes les sociétés s'en font une représentation qui prend la forme d'une classification, c'est-à-dire une suite d'étapes qui sont : enfance, adolescence, âge adulte, maturité, vieillesse et décrépitude. Cette classification varie certes selon les lieux et les temps, mais elle renvoie toujours à des groupes « engrenés l'un dans l'autre, qui se sentent plus ou moins complémentaires, mais entre lesquels à d'autres égards il y a un antagonisme latent et comme une lutte sourde, chacun défendant ses privilèges traditionnels, ses droits acquis, ou réclamant sa place au soleil ». Ainsi, réaliser une partition de la société entre les âges, c'est contribuer à opérer le renouvellement des générations avec une lenteur suffisante pour que la continuité de la vie sociale ne soit pas brisée : les jeunes avancent patiemment étape par étape ; les plus vieux cèdent progressivement la place. Aussi l'équilibre entre ces groupes et leur succession résultent-ils bien de l'organisation de la société. C'est là le dénominateur commun à toutes les conceptions de l'âge, qui exprime la façon dont la société prend conscience d'elle-même, et fixe en des notions communicables les choses par leur aspect permanent et essentiel.

C'est sans doute l'exemple des sociétés australiennes qui montre clairement comment les « formes primitives de classifications » qui y organisent le monde sont à l'évidence des catégories sociales, puisque toute idée et toute relation entre les êtres et les choses sont organisées sur le modèle de la société. Dans la tribu des Wakelbura, par exemple, on trouve les phratries Mallera et Wutaru, qui divisent tout l'univers en mallera et wutaru, ce qui a des répercussions sur l'ensemble de la vie quotidienne. C'est parce que les groupes humains s'emboîtent les uns dans les autres (le clan dans la phratrie, la phratrie dans la tribu...) que les choses se divisent dans le même ordre. Dans un article célèbre, « De quelques formes primitives de classification. Contribution à l'étude des représentations collectives » (1903), Émile Durkheim et Marcel Mauss soulignent que l'extension de ces dernières (genre, espèce, variété...) « vient de l'extension [...] que présentent les divisions sociales [...] Et si la totalité des choses est conçue comme un système un, c'est que la société elle-même est conçue de la même manière ». La société est un tout, ou plutôt le tout unique auquel tout est rapporté.

— Jean-Christophe MARCEL

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Jean-Christophe MARCEL, « REPRÉSENTATIONS COLLECTIVES », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

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