HORN REBECCA (1944- )
Entre douleur et raffinement
L'usage que fait l'artiste du rythme et des mécanismes ne dresse pas l'infaillibilité machinique contre une condition humaine forcément irrégulière et faillible. Ses machines se fatiguent et s'épuisent comme autant de paraboles de sa propre histoire, offrant une dimension thérapeutique. Depuis les années 1990, Rebecca Horn a introduit dans ses systèmes des jeux de lumière, l'eau, la musique comme autant d'éléments d'enveloppement du spectateur, de possibilités de transport dans un univers poétique et brutal, où le ravissement est toujours doublé d'une tension dramatique.
Dans Concert for Anarchy (1990), un piano à queue est suspendu au plafond à l'envers. Il lui arrive d'expulser ses touches, donnant à l'instrument une allure tragique, imprimant une souffrance dans un bruit violent. Mécaniquement, les touches retrouvent leur emplacement, dans un silence de mort. La maestria du geste n'a d'égale que la brutalité de la torture, cette violence soumise à l'ordre poétique qui incarne si bien l'esprit de l'artiste, toujours encline à composer entre douleur et raffinement, mise en danger et grand spectacle.
Rebecca Horn ne cesse d'articuler ses œuvres à partir d'ambiguïtés riches d'une symbolique ancestrale mais renvoyant aussi à l'histoire contemporaine. C'est le cas dans Bee's Planetary Map (1998), une installation cinétique où seize paniers de paille sont suspendus la tête en bas à différentes hauteurs, prenant ainsi la forme de ruches. Dans chacun d'entre eux, une ampoule crée des cercles de lumière reflétés par autant de miroirs installés sur des pivots animés, revêtant ainsi à chaque position la salle de mouvements lumineux tandis que l'environnement est habité de bourdonnements d'abeilles enregistrés. Toutes les cinq minutes, une pierre chute du plafond et détruit du verre, acte brusque, violent et cathartique. Horn a écrit un de ses poèmes au mur : « Les abeilles ont perdu leur équilibre / Leur essaim évolue en nuages au-dessus de nous / Leur ruches sont désertées / L'un de leurs centres vient de nouveau d'être détruit à tout jamais... » Derrière l'image des abeilles, Rebecca Horn évoque l'exil et la dislocation culturelle de l'ex-Yougoslavie, tout en élaborant une œuvre mythologique universelle.
Le point de départ de Lumière en prison dans le ventre de la baleine (Palais de Tokyo à Paris, 2002) est une suite de cinquante-trois poèmes écrits par Jacques Roubaud pour Rebecca Horn. Projeté sur les murs, ils viennent former dans l’espace de l’installation un réseau de signes redoublés par les chants de Hayden Danyl Chisholm.
Rebecca Horn a été célébrée dans le monde entier lors de nombreuses expositions monographiques parmi lesquelles celles du Guggenheim de New York (1993), du musée de Grenoble (1995), du Carré d'art de Nîmes (2000), de la Hayward Gallery de Londres (2005), du Samsung Museum of Art de Seoul (2007) et de la National Gallery of Modern Art de New Delhi (2012).
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Écrit par
- Bénédicte RAMADE : critique d'art, historienne de l'art spécialisée en art écologique américain
. In Encyclopædia Universalis []. Disponible sur : (consulté le )
Voir aussi