POÉTIQUE
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Poétique, rhétorique, herméneutique
La Poétique d'Aristote, vieille de deux mille cinq cents ans, est à la fois le premier ouvrage entièrement consacré à la « théorie littéraire » (les guillemets sont indispensables ici pour prévenir l'anachronisme) et l'un des plus importants qui soit. La présence simultanée de ces deux traits n'est pas sans paradoxe : c'est comme si un homme à la moustache déjà grisonnante sortait du ventre de sa mère (mais la comparaison est bien sûr trompeuse). On ne voit guère, comme exemple semblable, que la Grammaire de Pāṇini, à la fois première-née et chef-d'œuvre de la linguistique (mais ce texte ne joue qu'un rôle minime dans l'histoire de la science), ou, exemple plus proche, la Logique du même Aristote.
L'objet de la Poétique n'est pas la littérature (ce que nous appelons ainsi) – et dans ce sens le livre n'est pas un ouvrage de théorie littéraire – mais la représentation (mimésis) à l'aide du langage. En conséquence, après une introduction consacrée à la représentation en général, Aristote décrit les propriétés des genres représentatifs (ou « fictifs »), c'est-à-dire l'épopée et le drame, lesquels sont analysés en une série de niveaux, d'une part, de segments, de l'autre (une seule espèce de drame, la tragédie, est en fait traitée, la partie sur la comédie étant perdue ou simplement inexistante). En revanche, il n'y a dans la Poétique aucune place pour la poésie (qui existe bien à cette époque), alors qu'on sait que celle-ci sera considérée, à l'âge moderne, comme l'incarnation la plus pure de la littérature.
Dans les vingt siècles qui suivent, la littérature continuera à faire partie de l'objet de divers discours théoriques, même si ceux-ci ne sont pas exclusivement des « théories de la littérature ». Parmi ces discours il faut d'abord nommer la rhétorique : certains aspects de la littérature s'y trouvent, en quelque sorte, pris en charge. À l'origine, l'objet de la rhétorique est le discours public (celui de l'orateur ou celui de l'avocat) ; mais, comme tous les aspects du discours doivent être décrits, on touche aussi à ceux que le discours public partage avec la littérature : ainsi notamment du style ( l'« élocution »). D'ailleurs, le discours public perdant une grande part de son importance à la suite de la disparition des anciennes démocraties, la littérature occupera une place grandissante dans les rhétoriques plus tardives, jusqu'à devenir, après la Renaissance, la source quasi unique d'exemples, où puisent les rhétoriciens. Un autre discours bien institué qui couvre certains aspects de la littérature est celui de l'herméneutique, ou théorie de l'interprétation. L'objet autour duquel se constitue celle-ci sont les textes sacrés ; mais, une fois de plus, on y débat de structures verbales qui se rencontrent également dans les écrits profanes : les herméneutes médiévaux ne manqueront donc pas de se pencher sur le symbole ou l'allégorie poétique. Il en va un peu de même des autres grandes civilisations où il existe une « théorie littéraire » : les ouvrages de poétique indiens, ou chinois, ou arabes parlent de problèmes sémantiques ou psychologiques qui débordent la seule littérature (sans pour autant la « couvrir »), et l'intègrent dans des ensembles aux contours variables.
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Écrit par :
- Jean-Marie SCHAEFFER : chargé de recherche au C.N.R.S.
- Tzvetan TODOROV : maître de recherche au C.N.R.S., docteur ès lettres
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Pour citer l’article
Jean-Marie SCHAEFFER, Tzvetan TODOROV, « POÉTIQUE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 13 août 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/poetique/